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Lucille la luciolle

27 décembre 2010

CHAPITRE 14 - QUAND LUCILLE RENCONTRE MARTIN -

Sur la chaussée une voiture suit Lucille de loin. Son conducteur est inquiet. Le passager tente de le rassurer mais sans grande conviction.

 

- Mais non c’est pas débile de suivre une gosse !

 

- Pourquoi ? Parce qu’elle sort de l’immeuble qu’on est sensé surveiller avec notre super matos.

 

- Exactement ! Tu préfères aller dire au patron qu’il est foutu ?

 

- Non ! Mais je ne vois pas ce qu’elle peut nous apprendre.

 

Sur le trottoir Lucille suit une rangée de magasins. Leurs vitrines proposent peu de choses qui pourraient attirer son attention. Des batteries de casseroles avec des cuiseurs vapeurs, des soutiens-gorge et des petites culottes en dentelles de Calais, une librairie… Ah tien ! C’est chouette, ça ! Et des portes cochères… en veux-tu en voilà comme dirait Marie ! Une rue croise son chemin. Elle tourne à droite et la suite de portes cochères reprend. Ça pue ! C’est quoi cette odeur ? Du pipi de chien ? Beurk ! Elle découvre en effet des marques sur les murs des immeubles presque tous les deux mètres. A les observer, elle manque de se cogner dans une première poubelle verte. Elle l’évite de justesse en bondissant sur le coté pour mieux se prendre de plein fouet la poubelle à couvercle jaune dans laquelle on trie le papier et les conserves. Décidément, les poubelles sont aussi nombreuses que les gens ici !  Elle se recompose une attitude un peu plus digne en frottant ses coudes et en lissant sa jupe, reprend sa route et arrive face à un square. Tien ! Un jardin dans la ville ! Lucille s’en approche et passe les petites portes métalliques peintes en vert. Un jardin enfermé… En suivant les allées fleuries bien dessinées, elle aperçoit un jeune homme charmant qui ramasse quelque chose parterre avec un sachet en plastique. Puis il se dirige vers une autre poubelle avec difficulté. Difficile à atteindre en effet avec ces longues laisses au bout de son bras tendu. Il promène plusieurs chiens en même temps. Elle en compte huit, et parmi eux, un plus jeune et de la même couleur que celui de Mme Dumont. Elle se lance alors à vive allure à travers les allées bordées et entretenues en évitant les collisions avec les promeneurs et même avec une poussette qui braille. Quand Lucille arrive près du jeune homme, elle s’arrête et constate que le jeune chien n’est pas le chiot. Elle est trop près de lui maintenant pour ne pas engager la conversation, les huit chiens et le jeune homme l’observant sur leurs gardes.

 

- Salut !… Vous n’auriez pas vu un jeune chien ?

 

Le jeune homme est sur la défensive.

 

- C’est une blague ? !

 

Lucille est tout à coup très ennuyée. Sa question était ridicule.

 

 - Pas du tout ! Je cherche un jeune chien dans ces tons là. Et du doigt elle montre un des chiens … J’ai pensé que c’était lui mais c’est pas lui ! Elle prend une grande inspiration … Voilà !… Qu’est ce que tu fais ?

 

 - Au moins c’est direct !

 

 - Ah oui ? !

 

 - Oui !

 

Elle regarde les chiens en attendant la suite qui ne vient pas 

 

- … Alors ?… Pourquoi tous ces chiens ? L’un d’eux se rapproche, elle se baisse et le caresse.

 

Martin est encore plus sur ses gardes.

 

- … Je les promène.

 

- Vraiment ? ! Lucille relève la tête et le regarde ébahie.

 

- Oui. C’est au tour de Martin d’être étonné

 

- … Pourquoi ? Lucille est perplexe

 

- C’est un job ! Martin est maintenant agacé.

 

- On te paie pour promener des chiens ? !

 

- C’est quoi ces questions ? Maintenant il est exaspéré et tendu.

 

Lucille porte sa main à sa bouche, elle réalise qu’elle est impolie

 

- Oh ! … elle s’excuse d’une seule traite et parle comme une automate. Pardon, je m’appelle Lucille et je n’avais jamais vu de promeneurs de chiens. C’est un métier que je ne connaissais pas et je n’ai pas voulu vous déranger. La curiosité a été plus forte que moi ! Je vous prie de m’excuser.

 

Martin rassemble toutes les laisses des chiens impatients de continuer leur promenade avant qu’ils s’emmêlent en se tournant autour.

 

- Bon… d’accord ! Moi c’est Martin.

 

- Enchantée ! Elle lui tend la main mais il l’ignore. Alors elle l’agite comme pour chasser une mouche invisible. Je peux t’aider ? !

 

- Non.

 

Mais Lucille ne s’avoue pas vaincue. Elle fait un geste vague de la main en montrant la direction du chemin.

 

- Je peux te suivre ?

 

Martin l’a fixe avec intensité, il ne comprend pas ce qu’elle veut. Lucille mendie comme une enfant qui ferait un caprice.

 

- Un peu… pas longtemps… Elle insiste, suppliante.

 

- Qu’est-ce que tu veux ? T’es tombé de la Lune ! 

 

- Je sais que c’est une blague…

 

Martin sourit et prend un air très condescendant. C’est vraiment une gamine !

 

- Tu n’as vraiment jamais vu de promeneurs de chiens ?

 

- Non.

 

Martin tiraille sur toutes les laisses des chiens et reprend sa promenade en lançant à Lucille :

 

- Bon… OK !

 

- Alors… je peux ?

 

- OK… ça veut dire « oui »

 

Lucille prend un air plein de fierté

 

- Je sais. Je parle anglais. J’ai un niveau de 3ème ! Ma grand-mère me dit toujours que si je voyageais à l’étranger je pourrai me débrouiller toute seule ! Et aujourd’hui ma grand-tante m’a dit que j’étais l’unique héritière de la famille.

 

Elle se sent idiote. Mais pourquoi je lui raconte tout ça ? Il est trop beau ! Martin qui commençait à hausser les épaules se ravise au mot « héritière ». Il décide d’être gentil avec cette môme. Après tout je pourrai peut-être lui donner des cours ou autre chose si sa famille a les moyens. Alors elle lui raconte que sa grand-mère est malade et qu’elle habite chez tante Agathe pour toute l’année scolaire. Et puis elle se rend compte qu’elle ne veut pas qu’on ait pitié d’elle et elle change de sujet. Tout en marchant Lucille explique à Martin la tristesse de la pauvre Mme Dumont qui a perdu son chiot. Mais Martin ignore sa blague. Une jolie femme vêtue d’un joli tailleur promenant son yorkshire les croisent à ce moment là. Martin doit retenir vivement tous ses chiens, mais trouve la force de la saluer en souriant mielleusement. La femme lui rend son bonjour et son sourire. Lucille tique un peu sur cet échange. Cette femme est vraiment très belle et bien habillée. Elle se sent un peu « jeune » dans sa petite jupette. Pour récupérer son attention, Lucille raconte à Martin qu’elle s’est donnée pour mission de retrouver ce chiot. C’est extrêmement important ! Martin a l’air de connaitre beaucoup de chiens… Peut-être pourrait-il lui donner un coup de main… ? Peut-être a-t-il des informations utiles… ?

 

- Tu joues au détective ?

 

Comme Lucille sent dans le ton qu’il emploie qu’il se moque un peu d’elle. Elle prend la mouche et se justifie.

 

- Non ! Il faut juste parfois savoir rendre service !

 

Cette fois c’est Martin qui le prend mal. S’il travaille c’est qu’il a besoin d’argent.

 

           -  Moi je n’ai pas le temps ! Tu vois, je suis étudiant et je dois bosser !

 

Il reprend la promenade avec cette Lucille sur ses talons qui continue de lui poser des questions auxquelles il répond par oui ou par non. Elle découvre avec surprise cette profession citadine et lui a l'impression de parler à une extraterrestre. Oui, il fait tous les jours cette promenade matin et soir. Il lui explique patiemment que les gens en ville sont très occupés. Qu’ils travaillent beaucoup et n’ont pas toujours le temps de s’occuper de leur animal de compagnie.

 

- Alors ils ne devraient pas en avoir !

 

- Et pourquoi pas ?

 

Martin tente alors de lui expliquer que beaucoup de gens en ville vivent seuls.

 

- C’est du pain béni pour les animaleries. Un gros business !

 

- Le business c’est ce qui a à voir avec les affaires et l’argent ?

 

- C’est tout à fait ça ! Je constate qu’effectivement tu comprends bien l’anglais.

 

Lucille est touchée par le compliment mais son indignation est plus forte.

 

- Comment peut-on mélanger l’argent et les sentiments ?

 

- Allo ici la Terre ! Lucille… c’est bien ça ton nom ? Sans te vexer j’aimerai beaucoup te demander d’où tu viens.

 

- Ça ne me vexe pas. Je viens de la campagne. Et c’est vrai que la ville me donne l’impression d’être sur une autre planète.

 

Lucille et Le jeune homme continuent la promenade des chiens en ramenant chacun d’eux à son domicile personnel. A chaque immeuble Martin dépose deux ou trois chiens tandis que Lucille patiente en bas avec ceux qui restent attachés à un poteau. Quand il redescend elle décide de recommencer à le questionner.

 

- T’en as jusqu’à trois dans le même immeuble ? …

 

- C’est exponentiel.

 

Lucille est dubitative

 

-  Je ne comprends pas !

 

Martin prend un air moqueur.

 

- Quand un locataire a un jeune chien… …c’est mignooooon… la semaine suivante un voisin s’en est acheté un.

 

- Moi aussi j’ai un chien ! … Comme je venais vivre en ville je ne l’ai pas pris avec moi… elle a l’air de s’en excuser. Même si j’avais connu ton métier… je sais qu’il est bien mieux à la campagne !

 

- C’est bien vrai.

 

- Je ne comprends pas les gens qui ont des chiens en ville ! A quoi ça leur sert s’ils les font promener par d’autres… excuse moi… mais en plus tu es complètement débordé… Quand ils rentrent tard, c’est toi qui ressors leurs chiens ?… Et partant du principe que l’on considère le chien comme « le compagnon » de l’Homme… pourquoi les gens ont-ils des chiens en ville ?

 

Martin répond avec l’air autoritaire de celui qui maitrise bien le sujet.

 

- Parce qu’ils les aiment.

 

- Comment ? ! … Ce n’est pas ça « aimer » ! Lucille est choquée.

 

- C’est pas comme ça qu’ils pensent. Quand ils rentrent abattus du bureau … ils passent devant l’animalerie en sortant du métro… Ils se disent pourquoi pas ! ?

 

- … Je ne comprends pas? ? ? Lucille s’arrête de marcher.

 

- Le magasin reste ouvert assez tard… Le commerçant connaît bien son affaire… les gens sont fatigués… ils se sentent seuls, il fait nuit… derrière la vitrine il y a cette boule de poils qui jappe en silence … alors les clients entrent et … là… c’est le piège… ils touchent les bébés chiens si doux… si chaud… c’est rassurant… réconfortant !

 

- Ça leur rappelle leur doudou… Lucille sourie le regard dans le vague comme pour happer par un lointain souvenir.

 

- C’est ça !… Ces petites bêtes… elles vous aiment. Il regarde les chiens qui tirent sur leur laisse… elles vous léchouillent… vos doigts s’habituent à l’idée de le tenir contre vous… une petite bête… au cœur battant d’amour… …rien que pour vous.

 

Il se met la main sur le cœur. Lucille est étonnée.

 

- Et ça marche ? ! Ils achètent ? ! Vraiment ? !

 

La patience de Martin s’amenuise au fil des questions, il répond exaspéré.

 

- Oui… Je te l’ai dit… Le gars de l’animalerie connaît bien son affaire ! Il pousse à la vente ! Pareil pour les enfants capricieux … et celui-là… le jeunot…

 

Il lui montre le chien que Lucille avait pris pour le chiot de Mme Dumont.

 

- … c’est un cadeau empoisonné… ils l’on offert à un vieux ! On a honte de les laisser tout seul… on s’achète une bonne conscience. Il continue comme pour lui-même… c’est assez récent comme phénomène…

 

- Je ne comprends pas…

 

- Ils n’ont plus le temps de passer du temps avec les personnes âgées !

 

- Ce n’est quand même pas pareil !

 

Martin devient alors ironique.

 

- Le chien a d’autres utilités !

 

- Je ne comprends pas !

 

Martin la regarde alors avec insistance. Il joue la comédie et en rajoute pour se moquer d’elle.

 

- Un animal de compagnie affamé ça hurle… si le vieux meurt, il aura faim avant que le cadavre ne sente mauvais… Un chien c’est un « compagnon sirène »… ça prévient les voisins…

 

Lucille prend cette remarque au pied de la lettre alors qu’ils arrivent devant l’entrée du métro marquée par un grand « M » jaune. Une animalerie est située juste en face et les chiens aboient en approchant de la vitrine.

 

- A la campagne, il te bouffe comme une charogne…

 

- T’es dégueulasse…

 

Martin ne s'attendait pas à ça. Il fait demi-tour et reprend sa route en laissant Lucille derrière lui. Lucille restée plantée comme un platane se justifie.

 

- Mais c’est pas moi… c’est la nature… je te jure que je ne suis pas une fille dégoûtante, je suis juste réaliste…

 

Mais il ne tourne même pas la tête. Elle regarde les chiots dans la vitrine. Lucille est curieuse de voir si Martin a raison.… Voyons à quoi ressemble ce commerçant profiteur!

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20 décembre 2010

CHAPITRE 13 - QUAND LUCILLE SE LANCE DANS SA PREMIERE MISSION -

- - Mais où courre-t-elle comme ça ?

 

Agathe n’est pas la seule à être aux aguets. Tandis que dans son salon, Jules et elle sont absorbés par le but que poursuit Lucille, de l’autre coté du toit deux hommes sont à l’affut, des écouteurs sur les oreilles et un micro directionnel braqué sur les fenêtres du salon d’Agathe. Après s’être ennuyés ferme pendant des heures sous la pluie, collés l’un à l’autre sous une toile de chantier leur servant de camouflage et d’abri contre les intempéries, ils ont enfin de la matière à proposer à leur boss. La « vieille » semble avoir récupéré une vidéo dangereuse pour M.A.L.

 

- - Il va être content le boss.

 

- - T’es con ou quoi ?

 

- - Quoi ?

 

- Non t’es con ! Bien sûr qu’il va pas être content ! Elle vient de dire qu’elle a des preuves contre lui et en plus elle vient de recruter une nouvelle espionne !

 

Tout à coup, un choc ébranle leur installation. Suivi tout de suite d’un autre « bong ». Ils se demandent ce que c’était après le passage bondissant de La Luciole par-dessus leur planque. À se tordre le cou pour tenter de comprendre ce qui se passe, ils se déséquilibrent, tentent de se rattraper en faisant de grands moulinets avec les bras et c’est leur matériel qui s’écrase plusieurs étages plus bas, à quelques mètres de la gardienne qui raclait l’eau de son trottoir pour éviter à ses locataires toute chute malencontreuse. A peine surprise que le ciel lui tombe sur la tête, elle lève les yeux vers le dernier étage.

 

- Eh bien ? Encore une des expériences bizarres de Madame Agathe.

 

Et sans plus se compliquer la vie, elle balaye les débris du matériel son dans le caniveau. Les deux hommes de main glissent un œil depuis le bord du toit. Leur visage est décomposé.

 

- Le boss va nous écharper !

 

Lucille, elle, est ravie. Sans se douter un seul instant de la menace qui pèse sur sa famille, ou plutôt le peu qu’il en reste, elle bondit comme propulsée par un ressort grâce aux bottes de son costume. Elle atteint rapidement l’immeuble qui fait le coin de la rue. Ça marche du tonnerre de Dieu ! J’y suis arrivée. La ville est là, à ses pieds qui n’attend qu’elle. Et il faudrait que je reste consignée dans ma chambre ! « Que nenni » comme dirait mamie ! Lucille observe la grande avenue bordée d’arbres. Les lunettes ont déclenché le radar et lui signalent la présence d’oiseaux de type « pie » sur le troisième d’entre eux en partant du début de l’avenue. Lucille longe le toit de l’immeuble et arrive près de l’arbre des pies. Il est haut mais pas autant que le bâtiment. Pourtant elle ne doute pas de pouvoir l’atteindre. Pas facile, mais faisablesans peur et… Elle prend son élan et plonge… sans reproooooche ! L’arbre est bien touffu de feuilles mais pas de quoi amortir sa chute tel un matelas naturel. Et alors ! Ce n’est pas ce qu’elle escomptait. Avant de s’écraser plus bas dans les branchages, elle s’agrippe à une grosse branche. Sous son poids, et avec la vitesse de son plongeon, le bois souple réagit comme un ressort mais Lucille tient bon. Son estomac danse un peu la gigue et lui fait faire quelques renvois. Ne pas vomir, ne pas vomirouf ! Quand la branche se stabilise un peu elle plie dangereusement. J’ai pas vomi ! Mais je ne peux pas rester comme ça ! Elle regarde sous ses pieds à la recherche d’un appui. Ses lunettes infrarouges lui projettent alors les distances entre chaque branche. Waouh ! Ces lunettes sont vraiment super ! Comme elles indiquent 62 cm, Lucille prend le risque de lâcher la branche en extension. Et Hop elle atterrit souplement en fléchissant les genoux. La branche lâchée se détend comme un arc et fouette la cime de l’arbre. Les pies situées en dessous commencent à s’ébrouer. Lucille, malgré les feuilles qui se collent à son visage, glisse depuis la branche jusqu’au tronc. De là elle peut prendre appui et tenter de repérer le bon nid. C’est celui-là ! La luciole entre en action. Elle suit branche après branche un parcours labyrinthique en évitant de justesse les autres nids où leurs occupantes frôlent l’apoplexie. Les pies commence à jacasser tellement fort qu’on croirait qu’elles croassent comme des corbeaux.

 

- Madame la directrice, madame la directrice !

 

- Que se passe-t-il encore ?

 

- Un intrus !

 

La pie directrice s’attend toujours au pire en vivant en ville avec tous les dangers qu’on peut y trouver, mais elle ne s’attendait surement pas à ce type de danger. Un intrus pour elle c’est, au moins pire, un moineau ou bien un pigeon. Au pire du pire, c’est un gros rat glouton qui n’a pas le vertige. Mais un humain en dehors de la saison d’élagage, ça c’est le bouquet !

 

- Mais, mais enfin !

 

Elle n’a pas le temps d’en dire plus. La Luciole atteint le nid qui l’intéresse. Le mot d’ordre dans cette société de pies est toujours le même : défendre coute que coute leur territoire. Lucille le sait. Et La luciole n’est pas surprise par leur attaque parce que ce n’est pas la première fois qu’elle doit y faire face. À la campagne elle visitait souvent les nids des oiseaux pour y observer leur contenu. Alors elle tente, tant bien que mal, de garder l’équilibre tout en chassant de la main les oiseaux qui s’approchent trop près de son visage. Malgré les coups de becs des pies furieuses, et sur la tête et sur ses mains gantées, La Luciole se saisit vaillamment du bracelet du Petit Gustave. Les pies sont hors d’elle de se voir dépossédées de leur bien. Alors la Directrice des pies jacasse des ordres à tout va et les oiseaux se regroupent en formation pour attaquer ce nouvel envahisseur venu jusqu’à leur pénates. Lucille ne peut pas, et agiter les bras pour éviter leurs coups de bec, et s’accrocher aux branches. Elle n’a d‘autre choix que de prendre appui sur le tronc et de bondir d’un seul élan jusqu’à la gouttière de l’immeuble qui descend jusqu’au trottoir. Mais c’est trop juste. Les branches et les feuilles ralentissent son saut et son pied rate le bord de la fixation de quelques centimètres. Et là voilà qui tombe le long de la façade. Les pies s’égosillent :  

 

-  Sus au voleur ! Il ne sait pas voler ! Bien fait ! Il va tomber !

 

Lucille a juste le bon réflexe en saisissant une corniche. Son gant s’y colle avec force et ses pieds reviennent se coller à la paroi de l’immeuble. Sa deuxième main accroche la gouttière qu’elle remonte tout du long jusqu’au toit avant d’avoir eu le temps de mourir de peur.

 

Décidément, ce n’est pas un bon jour pour ces dames pie ! D’abord ces salopiots de corbeaux et maintenant ce… cette… mais qu’est-ce donc à la fin ? La Directrice baisse les ailes de dégout. Les pies décident de ne pas la poursuivre. Et c’est tant mieux, Lucille sent son cœur qui bat la chamade. C’est maintenant qu’elle tremble. Heureusement qu’elles abandonnent ! J’aurai été obligé de leur faire du mal ! Pour sa part, elle est satisfaite. Voilà une journée qui se termine bien ! Et justice est faite ! Elle a tenu sa promesse. Elle a retrouvé le bracelet du Petit Gustave.

 

 

Sur l’écran principal d’Agathe il y a La Luciole, sur un autre écran plus petit en image arrêtée, M.A.L. debout dans son bureau au logo de sa société, filmé en caméra cachée par Laura. Jules et Agathe sont sans voix. Ils se regardent les bras ballants, blancs comme des linges et ne disent rien. Chacun des deux est terrifié. Lucille aurait pu se tuer et ils n’auraient rien pu faire depuis leur poste d’observation. Agathe évite de penser à ce qu’elle aurait du dire à sa sœur Marie et Jules sait désormais que s’en est fini de son petit boulot peinard : il ne pourra plus la quitter des yeux. Ils observent maintenant Lucille qui repasse par la fenêtre de son loft. Elle se déshabille, fourre son costume dans sa besace et l’écran principal passe aux images de M.A.L quand elle ôte ses lunettes. Un autre écran s'allume sur une vue du hall. C’est Mme Dumont qui se jette sur la porte de La Gardienne. Elle tambourine avec insistance. Sur les enceintes ce bruit dérange Agathe qui d’un geste impatient baisse le son. Elle ne veut plus entendre personne se lamenter pour aujourd’hui. Elle se tourne de nouveau vers Jules pour lui recommander de surveiller Lucille, mais ce dernier tâte sa poche de veste de la main et prend l’appel qui faisait vibrer son portable. Il s’éloigne vers son coin préféré, la cuisine. Agathe se demande quand finalement il se décidera à lui parler de cet interlocuteur. Peut-être un bookmaker ? Elle ne voit pas qui d’autre cela pourrait être. Il ne reçoit jamais d’appel ! Et quand on se cache pour parler en secret, ce ne peut être que quelque chose de pas bien catholique. Tandis qu’elle le regarde s’éloigner son attention est détournée de ses écrans de surveillance noir et blanc. Au même instant Lucille apparait sur celui qui transmet les images de la loge de la gardienne. Elle ne court pas, ne bondit pas et passe, lentement, près d’elles pour écouter discrètement la conversation entre les deux femmes. La sonnerie de la porte de l’immeuble retentit en sourdine dans le salon d’Agathe encore en train de se demander ce dont Jules aurait honte. Et ça lui rappelle ce maquisard pendant la résistance qui disait toujours : la honte c’est quoi ? C’est un légume ? À ce souvenir, elle sourit et pense à sa sœur Marie, seule à l’hôpital. Alors avant de reprendre l’analyse des images de M.A.L. elle décroche manuellement son téléphone et tente de la joindre.

La sonnerie signalait une autre sortie non programmée de sa petite-nièce. Et voilà, Lucille est dehors. Elle inspire un grand coup mais l’odeur des gaz d’échappements le lui fait regretter tout de suite. En passant dans le hall elle a entendu La Gardienne et Mme Dumont discuter des différentes solutions pour retrouver le chiot perdu. Elles n’ont pas prêté attention à elle, ignorant même son salut timide. Lucille décide de suivre ses propres pistes. Nouvelle mission : trouver le chiot.

 

 

29 novembre 2010

CHAPITRE 12 - QUAND LUCILLE ENTRE DANS LA CHAMBRE DES INVENTIONS-

La chambre des inventions. Une pièce pleine de malles et d’étagères pleines de boites. Je fouille la chambre des inventions et en plus sans demander la permission ! Elle fouille elle aussi dans les affaires de sa grand-tante : que penserait-elle si elle me voyait !? C’est sûr, ça la ferait exploser !

 

Mais non. Sa tante jubile. Ou plutôt, oui elle explose mais de joie. Devant ses écrans de surveillance Agathe n’est que trop heureuse que sa petite-nièce montre tant de velléité à fouiller cette pièce. Elle espère que cela lui donnera l’envie de jouer à l’espionne. Et donc de l’aider à combattre M.A.L. Lucille est devant des tas d’étagères chargées de boites. Des malles de toutes les couleurs et de différentes tailles sont alignées le long des murs. Elle plonge la tête dans l’une d’elles. Tout en regardant par-dessus son épaule régulièrement, Lucille en sort des tas de tissus, d’étoffes, de pièces de soie. Elle se relève d’un coup et tient, victorieuse, à la hauteur de ses yeux, une pièce de tissu noire et froide au toucher. Légère et fluide, elle s’enroule dedans de la tête jusqu’aux pieds. Son bras tenant le tissu sur son visage, elle ne laisse émerger que ses yeux. Elle prend un air mystérieux, ses yeux allants dans un sens puis dans l’autre. Elle tient ensuite cette étoffe sur ses yeux en écartant les doigts pour la tendre. Top ! On voit à travers ! Je vais me faire une cape terrible ! Lucille passe à une autre malle. Elle y trouve une paire de bottes noires de style astronaute futuriste. Plus haute sur le genou comme un protège-genou, elles se règlent comme des chaussures de ski et s’adaptent sans problème à son pied quand elle en essaye une. Je fais du 37, taille universelle ! Elle enfile les deux. Impeccable ! Elle reprend sa fouille avec maintenant plus l’envie d’une merveilleuse découverte que le désir de malveillance qui l’avait motivé en premier lieu. Et voilà de quoi compléter ses précédentes trouvailles : une paire de gants en cuir souple. Ils sont agrémentés de renforts sur les phalanges comme des gants de moto, et remontent pratiquement jusqu’au coude. Elle les enfile. Waouh ! C’est à ma taille !

 

Le tissu posé en cape sur ses épaules, bottes chaussées et gants ajustés, elle prend des poses de justicière comme dans les bandes dessinées de Strange qu’elle avait acheté, en cachette de sa grand-mère, lors d’un vide-grenier du village. En se retournant vers la porte juste au cas où… elle repère un miroir. Elle s’y regarde, le coude replié, l’avant bras sur le nez et la bouche ; en ramenant sa cape devant elle. Et oh, surprise ! Je suis invisible ! On ne voit que le gant et les bottes qui dépassent. C’est fantastique ! Il ne manque qu’une chose la pièce maitresse de mon costume ! Dans sa besace toujours en bandoulière qu’elle ramène en avant, elle extrait les lunettes infrarouges et les enfile.

 

Agathe, toujours devant ses écrans de contrôle, jubile devant les exclamations de Lucille qui réchauffent l’atmosphère mélancolique du salon. Dès que Lucille a enfilé ses lunettes à infrarouge, l’écran central est passé sur son reflet dans le miroir. Eh voilà ! Elle dépasse toutes mes espérances !

 

Sur l’écran Lucille a fière allure ! Elle se cherche un nom. Sur plusieurs intonations Lucille répète son prénom.

 

- Lucille ! Luciiiiille ! Lucillllllllllllllllllle ! Pas assez mystérieux…

 

Elle se fait des grimaces et prend des poses de mannequin, les lunettes toujours sur le nez. Elle met son bras devant le bas de son visage. Elle prend une voix de conspiration. Les deux verres de ses lunettes ont un reflet vert émeraude qui lui rappelle les lucioles qui voletaient les nuits d’été autour de la ferme.

 

- « La Lucioooooole !  Celle qui éclaire les mystères de la nuit ».

 

Devant l’écran, Agathe éclate de rire. - Pas mal ! Pas mal ! Voilà la relève !

 

Elle actionne à toute vitesse les fonctions de cet équipement via ses claviers informatiques. Agathe glisse vers un de ses ordinateurs et le manipule quelques instants. Sur l’écran Lucille fait un entrechat qui la propulse jusqu’au plafond ou elle se cogne la tête. Par réflexe elle avait levé ses mains pour se protéger. Elle se retrouve collée en l’air. En effet, tout comme les lunettes, l’équipement possède des propriétés extraordinaires. Lucille n’en connaissant pas le fonctionnement, c’est Agathe qui en déclenche les possibilités depuis son ordinateur.

 

Ravie de sa trouvaille Lucille courre sur les murs comme une araignée. Dehors le temps est au beau fixe en cette fin de journée pleine de mauvaises et de bonnes surprises aussi. Elle ne réfléchit pas bien longtemps avant de bondir sur le rebord de la fenêtre qui s’ouvre d’un simple touché de sa main nouvellement gantée. 

 

- Aaaaaaaaaaaah ! La luciole vous salut !

 

Et la voilà qui s’élance. Agathe jubile devant l’image de Lucille La Luciole. Elle est optimiste face à la rapidité d’action de sa petite nièce. Pourtant elle se demande bien ce qu’elle fabrique et où elle va comme ça !

 

Jules, accouru au cri de guerre de la petite qui a fait résonner tout le salon, observe la scène, et s’inquiète pour sa part, d’avoir à protéger une Agathe clouée dans son fauteuil, en même temps qu’une gosse qui se sauve par la fenêtre. Sur le toit encore mouillé par la pluie Lucille ne glisse plus. Ses bottes dont Agathe a actionné les fonctions, font très bien leur travail. Elles adhèrent au revêtement glissant du toit. Lucille repère le nid des pies. Maintenant elle fait ce qu'elle veut !  Je vais enfin pouvoir m’amuser je suis libre ! La Luciole en avant ! Je peux passer d’un bout à l’autre du toit en quelques sauts. Elle peut aussi grimper sur les cheminées en s'y accrochant miraculeusement avec les pieds et les mains.

 

Sur l’écran central les images défilent à toute allure comme en accéléré. En quelques bonds Lucille a déjà atteint l’immeuble voisin. Malgré leurs doutes personnels, Agathe et Jules sont sidérés devant les prouesses de La Luciole. Agathe est très amusée Lucille a très vite intégré les possibilités de son « costume ».

 

- Jules ! Qu’en dis-tu ?

 

- Je dirais qu’elle joue au super-héros. Ouais c’est ça.

 

- Elle se prend pour une justicière. Ça se rapproche d’une espionne. C’est toujours ça !

 

- He bien on n’est pas dans la merde !

 

- Jules ! Surveille ton langage ! Maintenant il y a une petite à la maison.

 

- Ouais et c’est elle qui va nous mettre dedans.

 

Lucille a confiance en elle et ne semble pas douter un instant du potentiel de son costume tout juste découvert. C’est comme si tout était naturel. Mais c’est Agathe qui gère. Aussi vite qu’elle le peut sur ses claviers d’ordinateurs, elle déclenche toutes les fonctions des pièces du costumes. On ne sait jamais quelle prouesse cette petite va tenter !

 

 

22 novembre 2010

CHAPITRE 11- QUAND LUCILLE PREND AGATHE EN FLAGRANT DELIT -

Dehors la pluie vient de cesser. Sur les écrans de surveillance noir et blanc règne une nouvelle activité et sur les enceintes du salon, on entend maintenant Mme Dumont pleurer sur l’épaule de la gardienne. Elle parle du vol de son chien et Agathe se moque d’elle. Encore des larmes ! Décidément les gens ne font que pleurer aujourd’hui. Il pleut, ils pleurent, c’est la fête à la grenouille ! Elle se tourne vers Jules qui revient dans le salon après avoir calmé sa faim.

 

- Tu entends ça ! Ce n’est pas en larmoyant qu’elle va le retrouver.

 

- Vous êtes un peu dure avec elle…

 

- Oui c’est vrai… Pauvre vieille vipère ! Au fait ! il faut absolument rebrancher la caméra du loft !

 

Jules préfère ne pas relever. Il fait demi-tour et sort son oreillette téléphonique de sa poche. Trop occupée à critiquer sa plus ancienne locataire, Agathe n’a pas aperçu sa nièce qui sortait de son loft. Tournée vers Jules, Agathe ne voit pas non plus Lucille qui apparait sur les écrans de surveillance du couloir sous les combles. Sa petite-nièce descend les marches quatre à quatre jusqu’à chez elle. Jules tombe sur une messagerie. Son oreillette retourne dans sa poche. Quand il relève les yeux vers Agathe, il aperçoit Lucille bondissant d’un écran de surveillance à l’autre. D’un geste du doigt Jules, sans même ouvrir la bouche, prévient Agathe de l’arrivée imminente de la petite. Agathe se tourne vers ses écrans. Lucille sonne déjà à la porte. Agathe fait un geste vers l’accoudoir de son fauteuil mais il est tout abimé. Elle tapote sur le clavier de son ordinateur en maudissant l’accoudoir cassé et en demandant à Jules de faire aussi quelque chose pour ça. La lourde porte blindée s’ouvre lentement. Jules n’est pas au fait de la manière dont Agathe veut mener à bien l’éducation de sa petite-nièce mais il connait suffisamment bien sa paranoïa pour savoir qu’elle ferait bien d’éteindre ses écrans avant que Lucille ne rentre dans le salon et ne voit les images anciennes filmées par Laura sur l’écran principal en plus des écrans de surveillance.

 

- Dites-moi … vous tenez vraiment à ce que votre nièce voit tous vos écrans de surveillance ?

 

Lucille tente déjà de passer la tête dans l’entrebâillement de la lourde porte. Agathe est prise de court, elle se retourne vers ses écrans pour les éteindre et couper le son. Lucille cherche Mme Dumont dans la pièce. Elle a entendu ses pleurs et ses lamentations. Lucille regarde vers les écrans noirs et silencieux. Elle cherche d’où viendraient les voix qu’elle a entendues, en vain. Peut-être était-ce seulement l’écho depuis la cour intérieure… Lucille meurt d’envie de regarder par la fenêtre. Elle s’en approche en quelques pas sautillants, surexcitée, mais celle-ci n’a pas de poignée. Et sa grand-tante la regarde avec un air bizarre. Mais c’est sûr, elle a entendu pleurer. La vieille dame avait vraiment l’air peinée. Elle était toute triste de la perte de son chiot. Bien qu’elle n’est toujours pas compris d’où venait le son, elle interroge sa grand-tante.

 

- C’est Mme Dumont qui a perdu son chien ?

 

Sa tante rigole et termine la chanson…

 

- …Qui crie par la fenêtre, qui c’est qui me le rendra…

 

Lucille ne trouve pas ça tellement gentil mais ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire en coin. Pour ne pas risquer de blaguer sur la misère des autres, elle change de sujet et se concentre de nouveau sur ce qui l’amenait. Comment formuler sa phrase pour avoir la « permission », Mon dieu quelle horreur ! Comme si j’avais besoin de ça ! …de sortir faire un tour dans le quartier… et grimper au grand platane du coin de la rue Hi ! Hi ! Puis elle réalise qu’elle connait cet objet près de l’ordinateur de sa grand-tante. Ce vieux portable… Elle en oublie immédiatement la raison de sa venue.

 

- Mais qu’est-ce que ?… ce portable ? Il est à moi !

 

En effet c’est bien le sien. L’appareil est resté branché à l’ordinateur de sa grand-tante.

 

- Trop c’est trop ! Je suis obligée de demander la permission pour tout et rien et madame fouille dans mes affaires et me pique mes trucs !

 

Aïe ! Ça va chauffer… Jules préfère les laisser seules et s’en retourne le plus discrètement possible dans la cuisine. Lucille est hors d’elle.

 

- Tu m’as volé une des rares choses qui me restait de ma mère.

 

Agathe est prise de court. Et ce n’est pas dans ses habitudes. Elle en bafouille presque.

 

- Lucille, laisse laisse-moi t’expliquer… elle tente de se justifier. C’est maintenant qu’elle est prise la main dans le sac. c’est un appareil que j’avais donné à Laura. Une caméra pour espionner les malfaisances de M.A.L.

 

- Je t’interdis de parler de ma mère. Je ne comprends pas de quoi tu parles je ne sais pas qui est ce M.A.L. et je ne veux pas le savoir.

 

- Je te l’ai dit. M.A.L. est un homme qui ne respecte pas la planète et qui pollue sans vergogne, juste pour le profit. Un homme contre qui ta mère et moi recherchions des preuves. Un homme qui continue de nuire, c’est certain. Là où il s’installe la nature est en grand danger !

 

- Quoi ? Mamie me l’aurait dit si ma mère était une espionne. J’en ai marre ! Je ne veux plus rien entendre. Ce ne sont pas mes affaires !

 

Elle récupère le portable qu’elle arrache presque du cordon qui le relie à l’ordinateur et le range dans sa besace qu’elle serre contre elle.

 

- Et ça… ce ne sont pas les tiennes !

 

Lucille fait demi-tour et aperçoit le trousseau de clé de sa tante qu’elle cache subrepticement. Elle repart par la porte intérieure qui lui donne directement accès au loft. Agathe continue de se justifier.

 

- Mais c’est vrai !

 

- Voleuse ! je monte dans ma chambre ! et pas question que t’y remettes les pieds… sinon… sinon…

 

Lucille en bafouille. Elle appelle l’ascenseur en tapant du pied avec impatience. Il ne tarde pas à arriver et s’ouvre. Quand elle y pénètre, elle pleure de rage. Et sinon quoi ? Je ne peux rien faire contre elle et je n’ai nulle part où aller. Je suis obligée de rester ici. Je n’ai pas le choix. Et en plus il faudrait lui demander « la permission » … pas question ! Maintenant je fais ce que je veux !

 

Agathe restée seule rumine son agacement. Et sinon quoi ? Moi une voleuse ! C’est l’hôpital qui se fout de la charité ! Et mes lunettes alors ! Elle sait que Marie ne serait pas contente d’apprendre comment se déroule leur première journée à deux. Agathe rebranche ses écrans de contrôle et les enceintes. On entend de nouveau La Gardienne qui continue de calmer Mme Dumont en lui assurant qu’on retrouvera sûrement son chiot très bientôt. Mais très vite une sonnerie lui fait relever les yeux. Lucille ayant à peine rejoint son loft est ressorti en catimini. Elle apparait sur un écran dans le couloir des combles, puis sur un second, en surveillant ses arrières. Quoi ! Elle entre dans la « chambre des inventions » en ouvrant la porte avec mes clés ! Et en effet Agathe cherche autour d’elle et son trousseau a disparu. Quelle peste ! Avec elle, c’est œil pour œil, dent pour dent ! Décidément cette enfant n’est pas facile. Lucille est dans son stock d’inventions. Sur l’écran de surveillance de cette pièce Agathe la voit qui découvre étonnée son stock de petites merveilles de technologie de pointe.

 

 

15 novembre 2010

CHAPITRE 10 - QUAND AGATHE REGARDE LES IMAGES TOURNEES PAR LA MERE DE LUCILLE -

 

 

Agathe qui a assisté à toute la scène est rassurée de voir que Lucille s’est ravisée et est rentrée dans le loft. Elle peut reprendre où elle en était. Parce que de son coté Agathe a peut-être enfin découvert une preuve contre M.A.L.

 

Dehors il pleut à verse et sur l’écran principal Lucille joue sur sa DS avec une mine dégoutée. Agathe passe l’image de sa nièce sur un simple écran de surveillance. Une image pas nette. Zut ! Il faut absolument que Jules répare ça ! Sur l’écran principal, apparaissent des images un peu floues, datées de 1999, filmées sous un angle qui laisse deviner avec quelle discrétion son utilisatrice faisait les choses. Car se sont bien les images en caméra cachée tournées par Laura, la maman de Lucille. Agathe avait tout de suite reconnu le portable dans les affaires de la petite. C’est celui qu’elle avait bricolé spécialement pour Laura. Un téléphone dernier cri, à l’époque. Elle y avait incorporé une mini caméra. Mes techniciens avaient fait du bon boulot. Elle n’a eu aucune difficulté à récupérer les images conservées dans la mémoire de l’appareil. Et ces images sont magnifiques ! Floues, mais le son est assez bon pour les compléter de manière efficace. Elle tient enfin sa preuve ! Adieu M.A.L.! Les yeux posés sur l’écran, Agathe veut prendre une ligne téléphonique du bout du doigt mais son accoudoir de fauteuil est cassé. Et Zut ! Cette Lucille et ses cailloux ! Agacée, elle tape sur son clavier d’ordinateur pour composer le numéro de téléphone pendant qu’elle regarde les images de Laura, sa nièce, défiler sur son écran.

 

On y voit M.A.L. dans son bureau, que l’on reconnait au logo gravé sur les boiseries et la porte en verre dépoli. Tout porte son nom ! Il se croit le roi du monde ! Marc-Auguste Lamproie se vante. Il semble vouloir séduire quelqu’un. Il se gausse et fait le coq. Il pérore sur sa capacité à faire des affaires et plus particulièrement avec les déchets.

 

Les ordures ! Rien que ça ! Ça vaut de l’or même si tout ce beau monde prend un air dégouté ! Ils n’aiment qu’une chose ces hypocrites, pouvoir tirer la chasse d’eau sans jamais connaitre la destination de leur « popo ». Celui-là même qu’ils poseront dans la cuvette après avoir mangé tous mes petits fours du meilleur traiteur de la ville ! Moi ! Le monsieur ordure !

 

Agathe se souvient. C’est la soirée organisée par M.A.L. au profit des enfants de Tchernobyl. Quelle honte ! Quelle compensation misérable pour des enfants nés déformés par la contamination de leurs parents ! C’était la veille de l’accident de voiture qui avait couté la vie à sa nièce.

 

Et sur l’écran, Marc-Auguste se gave de chocolats sans même faire mine d’en proposer à son interlocuteur. Maintenant il fait de l’humour sur les stockages de déchets nucléaires qui lui rapportent beaucoup d’argent. Dans des fûts, comme pour le vin, tout bêtement ! Des fûts dont mes ingénieurs ne sont pas certains de la réelle étanchéité à long terme ! Quelle importance, dans 100 ans je ne serai plus là pour qu’on m’emprisonne !

 

La ligne téléphonique sonne dans le vide. Personne ne décroche. Agathe refait le numéro et insiste. Ensuite elle fait une avance rapide sur image. Elle s’arrête sur l’image d’une conférence où les ingénieurs de M.A.L., qu’on reconnait au logo sur leur blouse, concluent une démonstration. Face à une assemblée hétéroclite d’hommes d’affaires, ils confirment qu’il n’y a aucun danger à utiliser leurs procédés de stockage valable au moins trois siècles. Menteur !

 

Sur l’écran de surveillance noir et blanc à l’image déformée, Lucille joue toujours avec sa DS, elle relève la tête et se dirige vers la fenêtre ouverte de son loft. Mais il pleut toujours, impossible de grimper aux arbres dans ces conditions.

 

Devant ses écrans, Agathe bondit d’excitation en prenant appui sur ses mains. Un morceau de l’accoudoir se détache et tombe au sol. Et m… et zut ! Cette fois il est complètement foutu ! Manquait plus que ça ! Agathe se penche pour récupérer le petit bout de plastique. Et John qui fait la gueule et ne veut pas décrocher, c’est le bouquet ! Elle se baisse avec quelque difficulté. Et m… zut ! Elle est encore trop haute. Elle fait descendre le fauteuil en position basse. Son correspondant décroche, enfin. John apparait sur un écran à droite du grand écran principal. Il est de très mauvaise humeur. Il est même très agacé. Il va pour la sermonner mais de sa place il ne voit rien d’autre que le salon vide d’Agathe. Il croit à une mauvaise blague et l’appelle dans son visiophone. Au son de sa voix, Agathe se redresse. De sa place John sursaute. Ah non ! Vraiment,  j’ai passé l’âge ! Décidément, cette femme ne s’arrête jamais. Tandis qu’il se remet de sa surprise en portant sa main sur son cœur, Agathe est très excitée par sa découverte : - Cette fois on le tient ! Agathe parle à toute allure. - J’ai la preuve que M.A.L. a agit en toute connaissance de cause. Le site de stockage de La Manche garanti pour trois siècles… tu parles ! Il fuit déjà ! Et il le savait que ça ne tiendrait pas !

 

 

Elle veut en profiter pour couler définitivement M.A.L. avant qu’il n’obtienne le contrat européen de recyclage de plastique. John l’observe calmement. Et tout ça sans reprendre son souffle ! Cette femme est inhumaine. Agathe veut à tout prix convaincre John de l’importance de sa découverte. Et lui est sidéré de l’énergie de ce petit bout de femme, handicapée qui plus est. C’est Laura qui a enregistré les propos de M.A.L, peu de temps avant l’accident de voiture. Agathe s’égosille. John tente de calmer son enthousiasme et tente aussi de la convaincre de ne pas partir bille en tête sur une affaire trop ancienne. Mais Agathe ne veut pas lâcher M.A.L. Elle le soupçonne d’être de nouveau négligent avec sa nouvelle usine. Elle attend des nouvelles et des échantillons de « ses contacts journalistes » qui enquêtent sur le site au moment même où elle lui parle. Dans son loft, Lucille reprend les lunettes histoire de planifier autre chose. L’image radar s’allume en plein sur l’écran central et fait disparaitre John. Quelques secondes seulement, avant d’être transféré sur un autre écran. Mais le laisse assez longtemps dans le noir pour finir de l’exaspérer. Agathe zoome sur l’écran radar et détourne totalement les yeux de John. Elle voit des pies jacasser en plein vol tandis que John vit un grand moment de solitude. Il est là, à parler dans le vide et il se sent abattu. John se lève de son fauteuil et s’éloigne de son propre bureau. Agathe entend vaguement d’une oreille distraite qu’il va faire quelque chose mais n’y prête pas du tout attention. Agathe continue d’observer Lucille et a complètement oublié qu’elle avait oublié John. Sur son écran principal Lucille est toujours penchée à sa fenêtre à regarder des oiseaux ! Mais que trouve-t-elle à ses corbeaux ? Lucille ôte ses lunettes et le radar s’éteint sur l’écran d’Agathe remplacé par le bureau vide de John. Sur les images de surveillance en noir et blanc qui restent branchés sur le loft, Lucille jubile. Mais Agathe, n’y voit rien. Ah ! Il faut vraiment nous réparer ça ! Elle tente d’expliquer la situation à John qui a disparu de son écran sans qu’elle s’en rende compte.

- Chaque fois que Lucille enfile les lunettes qu’elle m’a « empruntées », je suis connectée à elle. Et tout à coup elle réalise qu’elle parle dans le vide. - Hé oh ! il y a quelqu’un ?

 

John revient vers son bureau, maussade et exaspéré.

 

- Qu’est ce que ça vous fait de parler dans le vide ?

 

Il lui rappelle que son rôle aujourd’hui est de prendre soin de Lucille en l’éduquant et non en entretenant de « très vilaines manies » telles que le vol ou le mensonge. Et il coupe la communication. L’écran passe au noir et Agathe se retrouve seule.

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8 novembre 2010

CHAPITRE 9 QUAND LUCILLE SOUPÇONNE LES PIES DE VOL

Dans le ciel parisien, les pies ont décidé de ne pas se laisser faire par les corbeaux. Elles n’ont pas l’intention d’en rester là. Ces machos ne s’approprieront pas leur territoire de chasse. Ça il n’en est pas question ! Sur les ordres de leur Directrice en Chef elles se lancent dans le ciel et retournent chasser des insectes. Et c’est un ballet incessant d’oiseaux, qui tournent et virevoltent après leur déjeuner. On les voit faire des loopings très maîtrisés. Les insectes n’échappent pas à leur frénésie gourmande. Sauf une mouche un peu plus maligne qui fait tourner une pie sur elle-même tellement de fois qu’elle est obligée de se poser en zigzaguant, comme ivre, sur le toit juste face à la fenêtre de Lucille. Tout à coup, une gigue frénétique et rapide s’organise quand une pie est de nouveau poursuivie par un corbeau belliqueux. La pie poursuivie appelle à l’aide.

 

- Madame la directrice… Madame la directrice… ! Au secours !

 

Le corbeau lui tire sur une plume de la queue qui se détache. La pie poursuivie hurle cette fois avec encore plus de coffre.

 

- Aïe ! Aïe ! Aïe !

 

La pie Directrice entend ce jacassement de souffrance et rallie toutes les pies en un seul mouvement.

 

- Allez les filles !... Toutes sur lui ! Ne vous laissez pas faire !...

 

Elles se regroupent et suivent leur Directrice qui s’élance courageusement contre le corbeau belliqueux. Mais il est vite rejoint par sa bande. Les pies ne s’en laissent pas compter, elles leur foncent dessus avant même qu’ils aient eu le temps de se regrouper. Dans le clan des corbeaux c’est l’anarchie. Ils sont éparpillés en plein vol et frappent des coups de bec, au hasard, dans tous les sens. Le chef de Clan corbeau doit rassembler lui aussi ses troupes.

 

- Les gars cassez leurs rangs !... Pas question de leur permettre de croire qu’elles sont chez elles !

 

- Mais qu’ouïe-je… ! La pie directrice ne se laisse pas démontée cette fois-ci. Rentrez donc dans vos pénates !... Vauriens !

 

Le chef de Clan corbeau ne veut pas lâcher.

 

- Quoi ! Quoi ! Quoi ! Des insultes !?... A l’attaque !

 

Ils se regroupent cette fois en formant un « v » et ils contre-attaquent en formation. La pie poursuivie se fait quasiment rattraper mais s’en sort in extremis parce qu’elle vire à la dernière minute. Mais le corbeau reste à ses trousses lui arrache encore une plume de la queue. C’est une de trop.

 

- Aïe ! Elle en perd l’équilibre et part en vrille. Bien mal en point elle tente de rejoindre son nid dans les grands platanes.

 

La pie directrice n’est pas un aussi bon stratège que le chef de clan des corbeaux, même si elle ne manque pas de courage. Voyant qu’elle a une blessée grave, elle donne alors l’ordre à ses filles de s’éparpiller.

 

- Ah !… Les saligauds ! Les traîtres ! …Mes filles repliez-vous…

 

Sous une huée de croassements, les pies jacassassent de frustration et rebroussent chemin vers leurs nids.

 

Lucille est derrière ses lunettes infrarouges, qui sont décidément une superbe invention, elle est obligée de le reconnaître. Elle se lève doucement de son rebord de fenêtre et fixe son regard sur les pies qui s’éloignent.

 

- OH… OH… …Dites-moi mesdames les pies, vous qui avez la réputation d’être des voleuses… n’auriez-vous pas un secret à me confier ?...

 

Les oiseaux passent sur le coté de l’immeuble et Lucille se penche.

 

- … Voilà… voilà…

 

Elle enlève ses lunettes. Elle ne voudrait pas risquer de les abîmer, et elle se hisse sur la fenêtre et sort plus prudemment que la fois précédente. Elle évite de passer par la partie en pente du toit, rejoint le bord qui longe à plat et file alors à toute allure vers l’autre coté de l’immeuble.

 

Dans le salon, Agathe fixe l’écran qui vient de s’éteindre : - Ouh la la !... Où cours-tu comme ça ? … C’est dangereux !

 

Elle tapote sur un clavier et lève les bras en signe d’impuissance.

 

- … Je ne vais pas pouvoir t’aider si tu ne portes que tes lunettes !

 

Lucille ne peut pas aller plus loin quand elle parvient au bout de l’immeuble. Les pies se dirigent vers le grand platane au bout du bloc d’immeubles. Elle remet ses lunettes et Agathe la retrouve sur son écran principal.

 

Dans leur arbre bien à l’abri La pie Directrice organise une réunion. Lucille les voit qui tiennent un conseil.

 

- Ah les saligauds… ! ça ne peut pas continuer de la sorte !

 

Face à elle se tiennent les autres, qui répondent en jacassant toutes en cœur à chacune de ses interventions.

 

- Ça ne peut pas continuer ! La pie directrice affirme encore son mécontentement. Non ! Non ! Non ! Il n’en est pas question !

 

Toutes les pies reprennent en cœur.

 

- Non ! Non ! Non ! Il n’en est pas question !

 

La pie, poursuivie et attaquée par le corbeau qui y a laissé deux plumes de la queue, prend la parole un peu honteuse.

 

- Mais ils sont très forts !...

 

Toutes les autres pies la fusillent du regard. La pie poursuivie se justifie.

 

- … Et bien plus nombreux !

 

La pie directrice la regarde et hoche la tête en direction de ses autres filles.

 

- …Sur ce point, elle a raison !

 

L’assentiment général ponctue cette phrase par un murmure honteux de toutes les pies. La pie directrice reprend la parole avec un peu plus d’assurance.

 

- Mesdames… mesdemoiselles ! S’il vous plaît ! Ne perdons pas de temps en palabres… Nous n’avons pas fini de nous restaurer… je vais réfléchir à un plan d’attaque, en attendant prenez du repos.

 

De nouveau un murmure général dans le groupe des pies. La pie directrice file droit dans son nid situé au plus haut point de l’arbre tandis que les autres continuent de jacasser.

 

Lucille regarde les oiseaux voleter entre les nids. Tout à coup, deux pies se disputent un objet brillant. Chacune des deux le veut pour elle mais il est trop lourd et elles ne peuvent le porter qu’à deux ! Elles n’ont d’autre choix que de s’en partager les droits de propriété. Les lunettes font le point quand Lucille concentre son regard sur l’objet.

 

Mais ne serai-ce pas le bracelet du Petit Gustave… Ouais ! C’est bien ça ! Mais ce sera difficile de l’atteindre depuis le toit. Elle décide de tenter l’opération en grimpant directement à l’arbre. Pas le choix, elle doit passer par la rue, donc sortir et donc demander la permission à sa tante. Une promesse est une promesse ! Le Petit Gustave semblait bien malheureux et c’est normal… ce bracelet est un cadeau de son père. Elle-même tient énormément aux quelques reliques qui lui restent de sa mère.

2 novembre 2010

CHAPITRE 8 - QUAND AGATHE FOUILLE DANS LES AFFAIRES DE LUCILLE -

 

 

Lucille dévale l’escalier de l’immeuble à toute vitesse. Elle manque de tomber sur Le Petit Gustave toujours en pleurs sur les marches. La tête dans les bras, il fait le dos rond. Elle est tentée de continuer son chemin sans rien dire mais l’enfant qui l’a entendu descendre pleure avec plus de véhémence quand il sent qu’elle s’éloigne. Du coup elle revient sur ses pas. Elle l’interroge par une rafale de questions sans montrer d’émotion particulière autre que la curiosité. Elle lui pose l’inévitable question idiote : - ça va ?

 

- Bah nan ça va pas ! hurle t-il en relevant la tête, les cheveux tout ébouriffés et le visage cramoisi luisant de larmes.

 

- Bien sûr, je voulais dire : qu’est-ce qui ne va pas ?

 

Le Petit Gustave replonge sa tête dans ses bras les croisant encore plus fort.

 

- Tu pleures ? ... Qu’est ce qui se passe ? ... T’es tombé ? ... Elle lui tourne autour, le regarde de la tête aux pieds - … Tu t’es fait mal ? … Elle se redresse… Rien de grave ? ...

 

Le Petit Gustave fait non avec la tête toujours enfouie. Lucille se baisse vers lui.

 

- … Tu pleures parce que t’es tout seul ? ... elle se redresse et regarde autour d’eux …Y’a personne pour jouer avec toi ? ...

 

Le Petit Gustave tape du pied et pleure plus fort Lucille sursaute.

 

- … Bah ! Alors qu’est ce qui se passe alors ? ... T’as perdu quelque chose ?

 

Le Petit Gustave lâche dans un cri déchirant :

 

- … On me l’a volé !

 

Sa détresse se lit sur le visage plein de larmes qu’il tend vers Lucille et il replonge sa tête dans ses bras croisés.

 

- Qu’est ce qu’on t’a volé ?...

 

Le Pt Gustave continue de pleurer.

 

- Aller... dis-moi !

 

Le Pt Gustave relève la tête et crie cette fois avec plus de colère que de détresse.

 

- … Mon bracelet !... il parle à toute vitesse.… Mon bracelet d’esclave en argent massif gravé à mon nom et envoyé d’Afrique par mon père !

 

Lucille très intéressée s’assoie sur la marche près de lui.

 

- Waouh ! …Comment ça c’est passé ?...

 

Le Pt Gustave explique très sérieusement en lui faisant un compte-rendu.

 

- … Je l’avais laissé sur le rebord de la fenêtre du palier… il montre de la main tendue le carré de lumière qui émane de la fenêtre ouverte… pour le « chargé de soleil » !

 

Lucille est étonnée : - Je ne comprends pas…

 

- Tu ne comprends rien !... C’est ce qui le rend magique… ! Et il a disparu !

 

Qu’il parle d’un bracelet magique ne choque en rien Lucille. Au contraire elle se dit que ce garçon n’est sans doute pas aussi bouché qu’elle l’avait cru au premier abord. Il semble inconsolable et replonge dans ses bras croisés. Lucille toujours près de lui mais sans le toucher devient plus douce.

 

- Ah ! ... Je vais te donner un coup de main à chercher…

 

Le Petit Gustave la regarde droit dans les yeux. Lucille soutient son regard. Elle se redresse d’un coup et regarde en bas par la fenêtre de la cage d’escalier mais elle ne voit rien. Les cris de pies et de corbeaux dans le ciel attirent de nouveau l’attention de Lucille. Elle concentre son regard sur les oiseaux en plissant le nez, de sa main elle se touche le coté en cherchant sa besace et réalise qu’elle l’a oubliée.

 

- J’irai jeter un œil dans la cour de l’immeuble voisin !

 

- Non il n’est pas tombé par la fenêtre ! dit le Petit Gustave qui a déjà vérifié.

 

Il fronce les sourcils et ne semble pas lui faire confiance. Lucille toujours debout près de lui, insiste : - …Promis ! …Juré ! Je te le retrouverai ! Tu verras…

 

Elle fait demi-tour pour remonter chercher son fourre-tout, rate une marche, s'étale de tout son long sur l’escalier et l’enfant rit.

 

- Au moins je t’aurai redonné le sourire ! dit-elle un peu vexée.

 

Pendant ce temps Agathe est remonté dans le loft et fouille les affaires de Lucille. Elle soupire de consternation devant le foutoir que Lucille a déjà mis en quelques minutes et puis jubile. Agathe est toute excitée : le portable est en sa possession.

 

Tandis que sa tante Agathe continue de fouiller ses affaires dans le loft, Lucille remonte en maudissant sa gentillesse. Elle accepte de l’aider, alors qu’elle ne le connait même pas et lui, il se moque… elle ne va pas se casser la tête. Si elle retrouve son foutu bracelet tant mieux, sinon tant pis pour lui ! Il ira sans doute pleurer dans les jupes de sa mère !

 

Mais ça n’est pas le cas. Ses parents sont divorcés c’est pourquoi sa maman travaille beaucoup, et n’est donc jamais là où bien trop fatiguée et débordée pour s’occuper du Petit Gustave. Il joue toujours tout seul dans la cage d’escalier. Sa mère est invisible et c’est la Gardienne qui s’en occupe quand il n’est pas à l’école, c’est à dire tout le reste du temps ! Malgré les histoires qu’il imagine en navigant d’un étage à l’autre, il s’ennuie ferme. Ses camarades de classes font du sport, lui, il fait de l’asthme. Il n’aime pas trop les jeux vidéos, c’est mauvais pour lui, ça l’énerve de trop, c’est le docteur qui l’a dit. Et surtout il ne veut pas faire du théâtre, c’est débile ou jouer aux échecs c’est que les meilleurs de la classe et c’est tout le temps les mêmes qui gagnent. En ce moment il est devant la télé à se demander s’il peut faire confiance à cette fille. C’est une fille, donc elle est bête. Sauf si elle tient ses promesses ! Pour le savoir il joue à son jeu préféré. En quoi ça consiste ? C’est simple : il zappe d’une chaine à l’autre. Si c’est une dame qui prend la parole en premier ça veut dire que ça ne va pas marcher et si c’est un monsieur, ça veut dire que c’est bon. Et là c’est … un monsieur ! Oui mais il n’est pas satisfait. Il ne la connait pas cette Lucille et il ne sait pas s’il peut lui faire confiance. Alors il recommence encore et encore. Si c’est un monsieur 4 fois de suite, c’est bon.

Pendant qu’il compte et retente sa chance indéfiniment, Lucille passe à pas de loup sur le palier d’Agathe au cas où elle serait là à épier derrière sa porte comme une concierge. Mais Agathe n’est pas derrière l’œilleton de sa porte. Non Agathe est dans son loft ! Et elle s’approche du lit et prend négligemment les lunettes bicolores 3D de Lucille. Elle les essaye et voit flou. Elle les enlève, en ricanant. Elle ignore les lunettes à infrarouge qu’elle connait déjà, prend le petit sac de pierres. Au même instant une sonnerie d’alerte branchée sur l’accoudoir de son fauteuil la prévient d’une présence sur son palier. Sans doute le retour de Lucille. Déjà ! Mais qu’est-ce qu’elle fabrique, à la fin ?

 

Dans la précipitation, alors qu’elle tente d’arrêter ce son strident qui ne manquerait pas de la faire repérer, elle tape sur l’accoudoir avec le sac de pierres qu’elle tient toujours en main. Et Vlan ! Elle casse le boitier de l’accoudoir ! C’est sûr, la sonnerie s’est éteinte ; mais elle rage contre elle-même de sa maladresse, jette le petit sac de pierres sur le lit et sort précipitamment de la chambre. Juste à temps. Lucille arrive devant le loft à peine Agathe a refermé la porte derrière elle. Avant que Lucille ne puisse ouvrir la bouche, sa grand-tante, la main serrée autour du portable enfouie dans sa poche, lui ment en prétextant la chercher pour connaitre ses gouts alimentaires afin de préparer le diner de ce soir. Lucille n’a pas le temps de se justifier sur le fait d’être sortie, qu’Agathe joue la colère et lui demande de ne plus jamais sortir sans demander la « permission » ! Cela fait bondir Lucille de rage, qui se renfrogne et entre dans son loft en claquant la porte derrière elle. Agathe derrière son masque autoritaire s’en amuse et repart sur son fauteuil très rapide en tapotant de la main le portable dans sa poche.

 

Décidément on la prend vraiment pour une gamine. S’il y a bien une chose que je ne supporte pas c’est qu’on me parle comme si j’avais 6 ans. Après tout j’ai presque 12 ans ! Moi aussi je pourrai l’appeler « vieille gaga ! » avec tout son matériel de science-fiction. Pourtant je ne dis rien. Non mais alors ! Lucille restée collée à la porte. Elle réalise combien elle manque de prudence en voyant les lunettes de sa tante posées en évidence sur le lit. Les yeux écarquillés par l’horreur de la situation, elle reste figée d’angoisse. Puis elle soupire de soulagement en réalisant qu’elle est arrivée juste à temps. Ouf ! Juste, juste, juste ! Si ça, c’est pas de la chance ! Elle fait la fière quelques secondes de plus avant de se jeter sur sa besace et de tout y ranger. Lucille est tellement sûre d’elle qu’elle n’imagine pas un seul instant que sa grand-tante ait pu entrer dans le loft.

 

 

25 octobre 2010

CHAPITRE 7 - QUAND LUCILLE ESSAYE LES LUNETTES INFRAROUGES -

Les oiseaux font de nouveau un raffut terrible. Lucille qui les entend va chercher les lunettes à infrarouge et retourne à la fenêtre en les enfilant.

 

Sur les enceintes du salon d’Agathe des oiseaux piaillent avec bruit. L’écran principal remplace l’image de la chambre de Lucille par une vue du ciel où tournoient des oiseaux. L’image chaotique interpelle le regard d’Agathe. Sur le coté de l’écran, sont décryptés l’espèce des oiseaux la température et les différents composants de l’air. Un plan détaillé des environs de ce que voit Lucille s’affiche aussi.

 

- Ce sont mes lunettes à infrarouge ! Maintenant elle les a enfilées ! Des oiseaux ! Mais qu’est ce qu’elle fabrique?

 

L’écran d’Agathe est branché sur les lunettes. C’est un appareillage très particulier. Chaque fois que ces lunettes entrent en contact avec les yeux de son porteur, ce qu’il aperçoit est automatiquement retransmis sur l’écran principal d’Agathe. Elle peut suivre depuis son fauteuil roulant les péripéties de son espion. Aujourd’hui, celui-ci, est en l’occurrence Lucille. Des images en couleurs et leur mire lui montrent ce que fixe sa petite-nièce : des corbeaux croassant dans le ciel. Agathe zoome à volonté sur les oiseaux noirs et détecte sur le radar, la présence d’autres oiseaux de l’autre coté de l’immeuble. L’ordinateur des lunettes infrarouges effectue un calcul rapide et indique leur distance par rapport à Lucille.

 

Dans son loft, Lucille exulte : - Waouh ! C’est comme dans un dessin animé ! Lucille observe les oiseaux.

 

Les pies reviennent vers les corbeaux. Lucille assiste à un combat aérien. Dans le ciel où la pluie et le soleil tentent de prendre le pouvoir, se déroule en effet une autre bataille rangée. Une altercation de haut vol entre des pies et des corbeaux. C’est une guerre de territoire. Les corbeaux dominent en attaquant méthodiquement les pies à coup de tactiques de combats aériens. Lucille éclate de rire devant ce spectacle familier qui lui rappelle sa campagne chérie, même si les cheminées des immeubles ont remplacé les collines. Le combat aérien s’intensifie. Les corbeaux poursuivent les pies. Epuisées, les pies battent en retraite derrière un immeuble, vexées, sous les croassements moqueurs des corbeaux. Elles rejoignent leurs nids en décrivant un large cercle pour s’y poser en secouant leur plumage ébouriffé. Quelque chose y scintille mais Lucille n’y prête pas attention tellement elle rit en voyant les pies déconfites. Déboutées par les corbeaux, les pies s’ébrouent dans leurs nids situés sur la cime d’un arbre au bout de la file des toits. Dans les branches du platane, C’est une colonie !  que découvre Lucille. Il y en a partout et elles battent des ailes, énervées.

 

- Top de top ! On se croirait vraiment dans un dessin animé !

 

Lucille passe rapidement en revue tous les nids à l’aide des lunettes qui lui calculent les distances et le nombre d’oiseaux de l’espèce présente. Elle ôte les lunettes.

 

Dans le salon, l’écran principal d’Agathe s’éteint. Lucille n’apparait plus que sur un écran de surveillance noir et blanc. Et elle tente alors une opération périlleuse en équilibre sur le toit glissant d’eau de pluie. Agathe l’aperçoit sur l’écran de surveillance, s’inquiète et appelle Jules. On n’entend que le souffle contenu de Lucille qui trouve ses chaussures en effet trop glissantes et revient à l’intérieur du loft. Sur le bord de fenêtre un de ses pieds accroche un fil électrique. Elle perd l’équilibre et elle dérape de l’autre pied, se rate et s’effondre en faisant un vacarme d’enfer. Un larsen se produit sur les enceintes en même temps que l’image de Lucille se brouille sur l’écran noir et blanc. Jules déboule alors à toute vitesse. Sa casquette de chauffeur inclinée sur son front, il jette son téléphone parterre, sort une arme et se met sur ses gardes. Agathe le calme et Jules, très pro, rengaine son arme l’air de rien et ramasse son portable. Il le porte à son oreille mais l’interlocuteur a raccroché. Jules ôte sa casquette comme si c’était la seule chose qui le gênait. Fait comme si rien ne c’était passé. Il est imperturbable. Mais au fond de lui il est déçu. Sa dulcinée ne veut rien savoir, rien entendre de ses explications et elle lui raccroche au nez ! De toute façon il ne peut rien lui dire de précis. Son poste est censé être secret. Il censé être important. Et Agathe lui demande de réparer, dès que possible, le branchement de la caméra de surveillance de la chambre de Lucille. Et si possible discrètement. A-t-il jamais manqué de professionnalisme ? Décidément il se sent cerné par toutes ces femmes !

 

 

18 octobre 2010

CHAPITRE 6 - QUAND LUCILLE DEBALLE SES AFFAIRES-

 

Après lui avoir montré la porte de la chambre de bonne où elle expose ses inventions qu’elle ne veut pas voir sur le marché… gnan gnan gnan…, tout en roulant et en passant devant sans l’ouvrir, Agathe fait enfin découvrir à Lucille ce qui pourrait devenir son havre de paix. Ou presque. C’est un loft avec sa propre kitchenette et sa salle de bain en brique de verre. Mais un tableau de commande avec un mini-écran y sont aussi installés. Ça leur permettra de communiquer d’un étage à l’autre.

 

- Comme ça nous serons en contact permanent…

 

Bien sûr. Encore une technique pour me surveiller se dit Lucille. Elle essaye de sourire. Mais c’est raté ! C’est sa grand-tante qui gagne ce match. Et Agathe ne peux que constater que Lucille ne l’aime pas. Ça va être dur ! Mais elle s’y fera…

 

- Et le frigo est plein. Lui dit Agathe en l’ouvrant. C’est pour les petits creux ! Pour le déjeuner et le diner je préfère que tu descendes manger avec moi… en famille.

 

Les briques de verre clignotent sous la lumière des éclairs qui maintenant s’accompagne du tonnerre.

 

- Je t’ai installé un ordinateur avec internet, mais par ce temps il est débranché. Les orages pourraient te griller le disque dur…

 

- Oui, je sais me servir d’un ordinateur.

 

Situé sous les toits, avec deux portes d’accès, le loft est superbe. Une porte, intérieure, qui rejoint directement par l’ascenseur le salon d’Agathe et l’autre, extérieure, rejoint la cage d’escalier de l’immeuble à l’étage en-dessous. Agathe lui tend les clés et elles font le tour du propriétaire….

 

Lucille sort de son abattement en découvrant l’espace dont elle va profiter : un loft totalement indépendant. Enfin presque… Agathe lui propose de prendre une douche et de continuer de s’installer pendant qu’elle descend préparer un goûter. Lucille lâche sa valise en maugréant. Elle m’énerve une fois de plus ! Lucille n’apprécie pas d’être traitée comme un bébé. Le gouter ! Non mais ! Pourtant elle meurt de faim. Agathe fait un joli demi-tour qui la rapproche de la porte intérieure. Elle ne peut s’empêcher d’en remettre une couche avant de sortir et lui dit qu’elle la laisse se détendre le temps de chercher des solutions pour régler son compte à M.A.L. : le plus gros des pollueurs ! Et elle entre dans l’ascenseur qui se referme sur elle.

 

Décidément elle ne veut pas me lâcher avec cette histoire de pollueur. Lucille fulmine. Elle se défait de sa besace qui pesait sur son épaule et, avec un grand soupir, se laisse tomber assise sur le lit. Lucille enlève ses baskets du bout du pied contre le talon de l’autre pied. La première chaussure s’envole dans les airs en faisant un beau lob. Mais la seconde résiste. Finalement Lucille se redresse pour finir de se déchausser avec les mains en soupirant avec insistance. Dehors il ne pleut plus. Quel temps pourri ! Un coup il pleut, un coup il fait beau ! Mais maintenant il fait beau ! Elle se dirige vers sa fenêtre qu’elle ouvre en grand. La vue est fantastique ! Des toits à perte de vue. Une jungle de toits ! Des tas de coins pour se cacher. De très bonnes planques !  Les flaques sur les surfaces goudronnées resplendissent au soleil comme des miroirs géants. Des oiseaux font un boucan de tous les diables. C’est quoi ? Corbeaux et pies je dirai… Lucille fait demi-tour et commence à se déshabiller. Son estomac gargouille avec force. Elle a vraiment faim. Elle ouvre le frigo qui contient de tout et surtout une grande coupe de fruits. Elle se saisit d’un brugnon qui dégouline sur sa chemise fripée dès sa première morsure et qu’elle englouti, tout en finissant de se déshabiller.

 

Depuis son salon, Agathe surveille Lucille via ses écrans de contrôle. D’une simple pression du doigt l’image en noir et blanc de Lucille passe sur l’écran principal alors qu’elle se dirige vers la salle d’eau en lançant son short boueux par-dessus son épaule. Agathe en a des frissons. Toujours du bout du doigt, mais cette fois sur son fauteuil, Agathe prend une ligne téléphonique. Elle contacte des journalistes avec qui elle discute sur haut-parleur. Elle leur propose d’enquêter sur une usine de recyclage de plastique qu’elle soupçonne de polluer la région : Les agriculteurs se plaignent de récoltes catastrophiques depuis son installation. Quelles techniques utilise M.A.L pour le recyclage chimique du plastique ? Quels qu’en soient les composants, ils ne sont surement pas réglementaires. C’est la spécialité de M.A.L. de tricher. Elle en mettrait sa main au feu ! Ses traitements chimiques du recyclage de plastique risquent d’empoisonner l’eau des rivières parce que M.A.L. ne respecte jamais les règles.

 

Tandis qu’Agathe argumente auprès de ces journalistes en quête d’un scoop, Lucille sort de la douche et revient sur l’écran vêtue d’un peignoir, les cheveux mouillés. Elle commence à vider sa besace sur son lit. Elle en sort les quatre romans de La Bibliothèque Rose sous les yeux d’Agathe qui la regarde estomaquée : Lucille est fan de la justicière Fantômette !!!? Elle reconnait l’ancienne édition qu’elle avait offerte elle-même à Laura. Il y a aussi les lunettes en carton bicolores, une console de jeux DS recouverte d’autocollants, un pull angora blanc, roulé en boule, posé juste au bord du lit. Et il y a la paire de lunettes infrarouge !

 

Agathe regarde dans son tiroir : ce sont bien les siennes ! Oh la chipie ! Elle poursuit sa conversation d’une oreille distraite. Le journaliste qui croit avoir eu sa communication coupée. Agathe reprend son argumentaire :

 

- Mais non, le rassure Agathe, c’est juste un petit problème technique.

 

Elle explique alors que depuis mai 2001, la Commission européenne a lancé le programme "Air pur pour l'Europe", qui s'inscrit dans le cadre d’un programme d'action pour l'environnement également appelé CAFE (Clean Air For Europe).

 

Sur l’écran en noir et blanc, Lucille prend maintenant sa DS Nintendo et commence à jouer avec, allongée, en appui sur les coudes. Elle s’énerve sur son jeu, se redresse sur les genoux, la manipule encore quelques secondes et la referme en la faisant claquer. Elle se met à pleurer. Agathe fronce les sourcils. Lucille se penche vers le sol. Elle sort le petit sac de la poche de son short resté parterre. Elle se le renverse dans la main, quelques petites pierres et aussi la terre de la ferme se répandent sur la couette du lit. Ses larmes s’arrêtent aussi brusquement qu’elles sont venues. Depuis son salon, Agathe est agacée de l’état dans lequel Lucille a déjà mis le lit. Elle dit aux journalistes qu’elle reste dans l’attente de recevoir rapidement de leurs nouvelles. Elle raccroche la ligne du bout du doigt et met du son sur l’image de Lucille dans son loft. Sur un autre écran, muet, Le Petit Gustave cherche quelque chose dans la cage d’escalier. Il s’effondre sur une marche la tête dans les bras. Agathe se détourne. Décidément les enfants, je ne les comprendrai jamais ! Elle roule jusqu’à une fontaine dont l’eau s’écoule quand on place son verre dessous. Agathe revient vers son mur d’images et Le Petit Gustave est toujours assis sur les marches, les épaules secouées de sanglots. Sur l’autre écran Lucille remet son contenu de pierres et de terre dans son petit sac qu’elle referme et secoue la couette d’un geste de la main vers le sol. Du pull angora blanc roulé en boule un ancien téléphone portable glisse lui aussi sur le sol et Agathe qui s’agaçait une fois de plus du manque de respect de sa petite-nièce pour les affaires d’autrui reste la bouche ouverte en l’apercevant. Sur son écran noir et blanc Lucille, fait demi-tour, prend sa valise et retourne dans la salle de bains à grands pas. Elle en ressort en quelques secondes, habillée d’un tee-shirt et d’une jupette.

 

Pendant ce temps Agathe fait zoomer la caméra sur l’objet : c’est bien le portable dont elle avait équipé Laura, la maman de Lucille, pour sa mission chez M.A.L. !

 

Agathe appuie sur un bouton de l’accoudoir de son fauteuil pour appeler John. La tonalité de la ligne résonne sur ses enceintes encore quelques minutes avant qu’elle se décide à raccrocher. Il est sans doute encore fâché de notre désaccord… ça lui passera…

 

 

11 octobre 2010

CHAPITRE 5 - QUAND LUCILLE RENCONTRE AGATHE -

 

 

Pendant ce temps, Agathe, installée devant son mur d’images, tapote impatiemment avec une carte magnétique sur le rebord de table. La pièce insonorisée clignote sous les éclairs de l’orage muet qui éclate enfin. Sur les écrans, des centrales nucléaires, des usines aux hautes cheminées, des rivières qui s’écoulent entre les arbres d’une vallée et des gorilles pourchassés par des braconniers.

 

Agathe glisse tout à coup vers un ordinateur à l’autre bout de son vaste bureau. Elle fait défiler des colonnes de chiffres sur l’écran. L’écran principal sur le mur zappe les images de gorilles vers celle de la grande table d’un conseil d’administration d’une société importante. Autour de la table 14 personnes, de tout âge et de tout pays, la saluent. Au même instant une sonnerie se déclenche et un petit écran de surveillance noir et blanc s’allume.

 

Agathe voit Le Petit Gustave passer la porte de l'immeuble. Elle éteint la sonnerie du bout du doigt sur l’accoudoir de son fauteuil mais la sonnerie se déclenche encore. Le garçonnet est suivi de Lucille, fagotée de sa chemise de bucheron complètement fripée par le voyage. Agathe agacée éteint de nouveau la sonnerie du bout du doigt. Elle y regarde de plus près, détournant les yeux de ses interlocuteurs qui raccourcissent avec impatience leur compte rendu devant son désintérêt. Qu’est ce que c’est ? Qui est le nouvel ami du Petit Gustave ? Agathe est curieuse. Elle est alors interpellée par l’un des membres du conseil d’administration et elle les remercie sans les regarder pour les excellents résultats de l’entreprise. Eux la remercient de la prime exceptionnelle qu’elle leur accorde pour leurs congés annuels. Agathe les fait disparaitre de l’écran principal après leur avoir souhaité rapidement une bonne journée. L’écran revient sur les gorilles tranquilles qui dégustent des feuilles. Et sur le petit écran noir et blanc, Le petit Gustave monte l’escalier et en se tenant à la rampe, il tente de battre son record en montant les marches trois par trois.

 

Le hall de l’immeuble est vaste et éclairé par les fenêtres aux vitres colorées. Des appliques murales très rapprochées les unes des autres diffusent une lumière jaune et pale qui étale la palette de couleurs des vitres en un arc-en-ciel. Lucille s’arrête une seconde, la main sur la rampe, étonnée. Sa valise dans son autre main s’élance tout d’un coup en avant et lui donne de l’élan. Elle passe déjà à autre chose. Elle grimpe quatre à quatre le grand escalier multicolore vers les étages supérieurs.

 

Dans le salon de sa grand-tante, Lucille apparait sur d’autres écrans de surveillance noir et blanc, passant de l’un à l’autre chaque fois qu’elle arrive sur un palier. Au 3ème elle dépasse Le Petit Gustave quand il pousse la porte de chez lui. Tien ! Ce n’est donc pas un ami de Gustave ? Agathe recommence à tapoter nerveusement la carte magnétique en observant cet énergumène qui porte une valise en carton. Elle glisse vers un autre ordinateur, tapote une touche de clavier et on entend, sur les enceintes, le souffle de Lucille qui poursuit sa montée sans être essoufflée. Sur l’écran noir et blanc l’image compartimentée montre tous les profiles du visiteur. Quoi ! Ça, c’est ma petite-nièce ?! Une gosse mal fagotée et toute fripée ! Agathe n’en revient pas.

 

Arrivée au dernier palier, Lucille s’approche de l’unique porte d’entrée massive et immense et sonne. Une voix claire, nette et décidée résonne dans la cage d’escalier en un mot clair.

 

- Oui ! ?

 

Lucille sursaute. Elle répond la tête levée vers l’Interphone polychrome.

 

- C’est moi ! C’est Lucille !

 

Agathe commande l’ouverture automatique de sa porte d’entrée du bout du doigt sur l’accoudoir de son fauteuil. Sur l’écran de surveillance parcellé, Lucille est médusée. Mais la porte blindée s’ouvre très lentement. Si lentement qu’Agathe en profite pour éteindre tous les écrans de surveillance noirs et blancs. Sur le palier, Lucille se retourne avec le sentiment d’avoir quelqu’un dans son dos. Quand la porte est entrouverte, Lucille se penche pour regarder vers l’intérieur.

 

 Agathe glisse de dessous le bureau. Elle se dirige vers Lucille dans un fauteuil roulant ultra perfectionné. Elles se détaillent de la tête, aux pieds et aux roues, sans faire de commentaire. Puis Agathe se moque de l’air surpris de Lucille qui n’a encore rien vu !  Elle est handicapée ! Et alors ! Agathe lui fait a démonstration.

 

- Ce fauteuil, très spécial, n’a pas de grandes roues et se déplace dans tous les sens sur quatre minis roues, et ce, d’un simple mouvement du doigt.

 

L’étonnement de Lucille est partagé entre le fauteuil d’Agathe et ce mur d’écrans, immense et fantastique sous la lumière des éclairs répétés qui explosent maintenant dans le ciel orageux. Mais Agathe l’entraine vers son matériel de chimie et lui explique qu’elle fait partie d’une association d’écologistes très actifs. Ils mènent des croisades contre les plus gros pollueurs de la planète ! Lucille est prise de court. Elle ne s’attendait pas à ce type d’accueil. Sa grand-mère est à l’hôpital, elle comptait sur sa tante pour avoir quelques nouvelles, mais apparemment Agathe s’en fout de Marie ! Et de quoi me parle-t-elle ? Je ne comprends rien à ce qu’elle me raconte ! Lucille ne se sent pas concernée. Elle préfère regarder bouche bée tout l’équipement de la pièce. Elle ne fait preuve d’aucun d’intérêt pour le monologue de sa grand-tante. L’attirail de chimie est surprenant. Toutes ces petites fioles aux noms inconnus marqués sur des étiquettes colorées. Alors qu’elle passe le doigt sur un des flacons, Agathe lui donne une petite tape sèche vivement sur la main.

 

- Il faut être responsable quand on utilise des produits dangereux !

 

Lucille sursaute. Elle est choquée. Elle fronce les sourcils et serre sa valise et sa besace contre elle, comme prête à repartir. Agathe s’avance vers elle en faisant s’élever le fauteuil pour lui parler droit dans les yeux. Cette manœuvre déstabilise une fois de plus Lucille qui baissent un peu les armes et cherche à voir le mécanisme du fauteuil.

 

Agathe ne parvient pas à capter son regard, décidément la concentration de cette gamine ne vaut pas mieux que celle du chiot de la vieille ! Agathe lui propose de  reprendre depuis le début. Elles font donc connaissance de manière très conventionnelle et distante en hésitant entre la bise et le serrage de main pour lequel elles se décident finalement. Agathe repart sur un autre type de monologue. Elle est désolée pour sa sœur Marie, mais n’est pas inquiète. Les médecins sont optimistes. Une sonnerie retentit de nouveau. C’est la porte et Agathe déclenche son ouverture du bout du doigt sur l’accoudoir de son fauteuil. La porte s’ouvre, toujours aussi lentement, sur l’arrivée de Jules, casquette de chauffeur sous le bras à la manière militaire, qui se plaint d’avoir oublié sa clé. Agathe lui tend alors la carte magnétique et reprend son discours poli avec sa petite-nièce. Jules récupère la carte au passage en se dirigeant vers la cuisine située à l’autre bout de la pièce, parce qu’il a faim, marmonne t-il. Il sort son oreillette d’extraterrestre de sa poche sans se mêler à la conversation, qui reste suspendue parce que Lucille observe fixement la manière dont il met cet objet sur son oreille. Agathe parle un peu plus fort pour attirer l’attention de sa petite-nièce mais recommence à lui parler les problèmes de pollution. Agathe explique à Lucille son combat contre M.A.L. Elle est ravie de l’arrivée de sa petite nièce qui va pouvoir prendre la relève.

 

- Tu seras la digne héritière de la famille !

 

Cette dernière ne comprend pas. Lucille la regarde la bouche ouverte Mais de quoi parle-t-elle ? La relève de quoi ? Lucille, sur la défensive, réagit avec agressivité. Elle explose.

 

- Pour l’instant je dois aller à l’école et nulle part ailleurs ! C’est Marie qui le dit !  Je ne m’intéresse pas aux histoires des adultes !

 

Agathe n’en a pas l’habitude, tout le monde est toujours aux petits soins pour elle. On lui obéit au doigt et à l’œil. Seul John lui résiste un peu, parfois, mais le pouvoir de persuasion de cette femme autoritaire l’emporte toujours. Et là, cette enfant, l’ignore. Agathe est déstabilisée devant Lucille qui n’écoute plus et tend la main vers à une paire de lunettes infrarouges dans un tiroir entrouvert. Agathe bondit avec son fauteuil, telle une grenouille, jusqu’au tiroir qu’elle referme vivement au risque de lui coincée les doigts et se fâche en lui interdisant de toucher à quoique ce soit. Lucille surprise par cette « attaque » se braque encore plus. Elle est de nouveau fermée et abattue, la mine boudeuse, recroquevillée sur sa valise et sa besace. Pour l’amadouer Agathe lui propose de visiter son petit loft mansardé « rien que pour elle ».

 

- Tu verras ! c’est sous les toits ! Et je conserve plusieurs prototypes de mon entreprise d’invention dans une chambre de bonne voisine, ma « chambre des inventions ». Eh oui je travaille avec plein d’inventeurs !

 

Au mot « inventeur » Lucille relève le museau très intéressée.

 

- Et qu’est ce qu’ils inventent ?

 

- De tout ! De quoi faire la joie d’une nièceQuand tu voudras utiliser quelque chose tu n’auras qu’à demander la « permission » !

 

Ce mot fait se raidir Lucille qui cale sa besace sur sa hanche avec nervosité et soupire. Sa tante ne s’en aperçoit même pas. Espérant l’avoir hameçonné, Agathe a déjà fait demi-tour et se dirige vers un autre meuble plein de trousseaux de clés, elle en prend un et se dirige vers un ascenseur intérieur camouflé dans le décor du salon. Lucille, qui n’avait pas bougé, en profite. Sa grand-tante a le dos tourné, Lucille rouvre le tiroir où elle prend les lunettes infrarouges. Elle les glisse rapidement dans sa besace avant de se saisir de sa petite valise et de suivre Agathe jusqu’à l’ascenseur.

 

Jules les regarde partir depuis la cuisine où il finit d’engloutir un énorme sandwich. Homme de confiance d’Agathe, il pourvoie à tous ses besoins administratifs et veille à ce que tous montrent patte-blanche avant d’entrer chez elle. Excellent sportif dans un corps militaire d’élite, il avait été recruté par les services secrets dans le cadre d’une mission dans le milieu du sport international. Cette mission effectuée avec succès, lui avait pourtant laissé un goût amer. Il ne désirait plus être sur le terrain. John avait senti son désarroi et lui avait proposé une mission de protection. Celle d’une grande dame de « la maison » qu’on estimait être en danger permanent tellement elle secouait les nids de guêpes : Agathe.

 

Cette femme unique en son genre avait participé à transformer sa vie. En 20 ans à ses cotés il a pu développer sa culture personnelle et rencontrer aussi cette femme superbe, la libraire, dont il est tombé amoureux. Il ne savait pas ce que c’était que l’amour avant.

 

Avant, il n’était déjà plus un enfant quand les autres de son âge étaient en classe ou jouaient au foot dans la cour. Pour échapper à son fermier de père autoritaire qui le faisait bosser dans les champs, il s’était engagé dans l’armée dès que possible et pourquoi pas carrément chez les parachutistes. Un des corps d’armée les plus difficiles. Jeune garçon sachant à peine lire et écrire, il avait pris des cours, passer des diplômes internes et aussi le brevet de pilotage. Et tout ça en même temps qu’il se faisait plaisir sur le terrain de rugby. Il s’y éclatait tellement qu’il y a même fait une petite carrière honorable avant de revenir sur ce terrain de jeu un peu plus miné : les jeux de guerre. Trop miné. Il en avait eu marre « d’avoir les foies » tout le temps. La peur y était permanente. C’était une époque où il ne se rappelait plus de quand datait sa dernière vraie nuit de sommeil. Et puis il avait envie de rencontrer une femme, « la femme ». Cette fiancée secrète, qui aujourd’hui le rendait heureux. Sauf que sa fiancée s’inquiétait de son attitude. Elle le croyait simple chauffeur mais avec Agathe rien n’est simple. Jules s’en accommodait jusqu’à aujourd’hui, avant l’arrivée de Lucille.

 

Cette gamine lui parait antipathique. Bien sûr, la pauvre se retrouve loin de chez elle à vivre en compagnie d’une vieille dame excentrique et d’un ours mal léché comme moi. Mais elle n’avait même pas dit bonjour en arrivant à l’aérodrome, pas plus qu’elle ne lui avait adressé la parole pendant tout le trajet. Finalement il se sent cerné entre sa fiancée qui ne cesse de poser des questions auxquelles il préfère ne pas répondre, sa patronne qui l’envoie en mission, des missions qu’il doit cacher à la première et maintenant la petite qu’il devra surveiller si elle commence à voler dans les tiroirs de sa tante.

 

 

 

 

4 octobre 2010

CHAPITRE 4 - QUAND LUCILLE ARRIVE EN VILLE-

 

 

Le temps est à l’orage, il fait très lourd et le ciel ne se décide pas à lâcher un peu de son eau pour rafraichir la population. Devant un immeuble cossu de Paris deux femmes discutent de la météo. Une longue voiture noire de marque Mercedes s’arrête le long du trottoir, mouillée d’avoir été lavée.

 

Lucille en sort. Ses lunettes en carton sur le nez, avant que Jules le chauffeur n’ait eu le temps de lui ouvrir la porte, parce qu’il est en train de se disputer à mots couverts au téléphone. Un téléphone d’extraterrestre pour Lucille qui n’avait jamais vu d’oreillette aussi moderne auparavant. Un instant elle a même cru qu’il parlait tout seul. Puis elle a pensé qu’il lui faisait la conversation, alors elle l’a ignoré ouvertement pour finalement s’apercevoir que c’est lui qui l’ignorait totalement puisqu’il s’adressait à quelqu’un d’autre. Ah vraiment quel mufle !

 

Lucille tire sèchement sa petite valise coincée dans la portière en pestant. Sa besace pendue en bandoulière participe à la gêne. Mais Jules ne prend toujours pas le temps de l’aider à cause de la visière de sa casquette qui lui tombe maintenant sur les yeux. Tandis qu’il la soulève d’une pichenette, Lucille relève sur son nez ses lunettes bicolores 3D en carton qui cachent à peine sa mauvaise humeur. Apparemment on lui raccroche au nez, alors Jules range son téléphone-oreillette, agacé il marmonne quelque chose à Lucille par la vitre qui s’ouvre quasiment sans bruit et s’en va garer la voiture en la laissant seule sur le trottoir. Enfin, seule, c’est vite dit.

 

Lucille, du haut de ses « presque » 12 ans, a une allure de chat mouillé. Ses cheveux châtains bouclés sont ébouriffés. Sur ses joues, les larmes écrasées pendant le voyage se sont mêlées à la poussière de sa chère campagne et dessinent des ailes. Sa chemise froissée descend jusqu’à ses cuisses et recouvre presque totalement son vieux short en jean qui s’effiloche. Ses longues jambes de sauterelle ont les genoux et les tibias couverts des croutes de ses chutes répétées lors de ses courses folles avec son chien. Sur ce trottoir parisien, elle à l’air un peu perdue et abandonnée.

 

Les deux femmes se tournent vers elle avec beaucoup de curiosité. Une d’elle tient un balai brosse sur lequel elle prend appui de ses mains qui portent des gants de ménage bleu turquoise. La seconde, une vieille dame aux cheveux violets, tient un chiot au bout d’une laisse neuve et toute aussi colorée. La Gardienne se présente en parlant à toute vitesse. Lucille voudrait rentrer dans l’immeuble mais cette femme bavarde l’interpelle et insiste pour lui présenter Mme Dumont, la dame au chien. Depuis la double porte de l’immeuble arrive alors un garçonnet. Elle le lui présente aussi.

 

- Et voilà notre Petit Gustave.

 

À travers ses lunettes, tout ce petit monde apparait à Lucille quelque peu déformé. Mais le chiot est superbe et rigolo à coté des trois êtres humains dont les traits sont caricaturés et déformés à l’excès. Lucille commence par se présenter au chien. Elle lui flatte la tête et les cotes de la main

 

- Bonjour boule de poil ! Ce que tu es mignon… Comment tu t’appelles ?

 

Le chien répond en jappant OUAF ! Lucille se redressant à moitié, rencontre le regard fixe du Petit Gustave.

 

- C’est un joli nom ! Moi je suis Lucille ! elle attend une réponse du garçon qui ne vient pas puis elle enchaine pour faire la conversation… Je viens m’installer dans cet immeuble !

 

Lucille s’adresse maintenant à la Gardienne et le Petit Gustave en profite pour jouer avec le chiot.

 

- … Je suis la petite-nièce de tante Agathe !

 

- Mais oui, mais oui. Bonjour ma jolie ! Nous t’attendions…

 

Le Petit Gustave la regarde sans rien dire. Un instant interrompu dans son jeu de «cours après moi… que je t’attrape » avec le chiot, il recommence son manège. Mais l’animal s’étrangle sèchement chaque fois que la pauvre bête découvre et apprend les limites de la laisse que tient Mme Dumont avec fermeté. La gardienne est très à l’aise tandis que Mme Dumont est exaspérée par le chiot qui enroule maintenant sa laisse autour de ses jambes. Elle pousse des petits cris de souris en tournant sur elle-même pour tenter de se libérer. Lucille tente elle, d’échapper au babillage de la Gardienne qui lui parle comme si elles s’étaient toujours connues. Et comme elle a grandit, et comme elle belle, et comme Agathe va être contente, et comme, et comme… Lucille tente d’accéder à la porte mais la Gardienne la retient par la main. Lucille est très étonnée et regarde, tétanisée, cette main qui enferme la sienne. Elle n’a pas le temps de dire quoique se soit que cette main la lâche et lui indique le dernier étage de l’immeuble du doigt.

 

- …Tu la trouveras tout en haut ! Tu as toutes les chances de l’y trouver… Tu sais qu’elle ne sort jamais. Puis s’adressant à Madame Dumont.

 

- N’est ce pas Madame Dumont ? !

 

- Oh ! Moi, je ne l’ai jamais comprise !

 

Cette réflexion entraîne la reprise de la conversation entre les deux femmes qui commentent cette vie de recluse en ignorant la présence de Lucille qui aimerait découvrir quelques éléments sur cette tante qu’elle ne connait pas. Entre temps le chiot s’est enroulé autour des jambes de Mme Dumont et manque de la faire tomber. Elle se démêle tant bien que mal de la laisse et attrape, puis tient le chiot par le collier, qui l’étrangle à moitié, sans perdre le fil de la conversation.

 

- Etonnant ce choix de vie ! Comment peut-on rester enfermée ? dit-elle.

 

- … Ah ça ! répond La Gardienne.

 

Le Petit Gustave se désintéresse du chiot avec lequel il ne peut plus jouer. Il compose le code d’entrée et entre dans l’immeuble. La gardienne maintient la porte du manche de son balai pour laisser le passage à Lucille tout en continuant de papoter avec la vieille dame qui tient toujours le pauvre chiot par son collier. Elle indique de nouveau le dernier étage à Lucille qui fait comme si elle n’avait pas entendu, très intéressée par le digicode. Elle se glisse dans l’ouverture de l’immeuble en grognant de nouveau après sa valise, qui de nouveau, s’est coincée.  Cette fois, c’est dans le chambranle de la porte. La lourde porte se referme derrière elle et les deux dames s’offusquent de son manque d’éducation.

 

- Même pas un merci ! Aussi aimable que la tante ! 

 

Le chiot lâché par sa maitresse après que les deux enfants soient entrés, entoure sa laisse autour de leurs jambes à toutes les deux. Si bien qu’elles tournent sur elle-même pour éviter de se retrouver coincées. Un demi-tour à gauche et un demi-tour à droite. On dirait qu’elles dansent lentement en équilibre sur un poteau. Ce qui ne les arrête pas dans la suite de leurs commentaires. Elles font mine de s’inquiéter pour cette petite qui débarque chez cette vieille tante si autoritaire, comme la décrit Mme Dumont qui en tirant plusieurs fois nerveusement sur la laisse du chiot les emprisonnent un peu plus.

 

 

27 septembre 2010

CHAPITRE 3 - QUAND L’OMBRE DE M.A.L. PLANE SUR LA FAMILLE DE LUCILLE

 

La colère de Marc-Auguste Lamproie résonne, depuis le couloir, jusqu’au plafond de son bureau avec vue sur un fleuve, qui écrasé de chaleur comme la population, semble ne pas s’écouler, attendant la pluie comme moteur. Tout le bureau porte le logo de sa société : sur les vitres, sur les enveloppes et sur la porte en verre dépoli où s’inscrit aussi son nom en lettres d’or.

Cet homme grand et fort avec de l’embonpoint, ceinturé dans un très beau costume taillé sur mesure, entre en repoussant violemment la porte qui claque contre le mur. La femme de ménage semble avoir l’habitude de ces colères et ne sursaute même pas. Elle finit d’installer un panier plein de sucreries et de chocolats avant de sortir en emportant un sac poubelle. M.A.L. met la pression aux deux hommes en costumes noirs qui le suivent. Il les traite de « bande d’incapables ». Il est particulièrement tendu. Il se jette sur le panier et dévore un rocher de chocolat en se tournant vers la fenêtre tout en hurlant, la bouche pleine, à cause des problèmes qu’il rencontre :

- Les « écologistes activistes » fouinent une fois de plus dans mes affaires ! Impossible de tester mon nouveau gaz sans qu’ils viennent y mettre le nez !

Dans trois jours il a un marché à prendre au niveau européen avec son usine de recyclage de plastique. Il compte bien s’occuper du problème avant que ne soient confirmées les rumeurs des écologistes sur la toxicité des moyens de transformation qu’il emploie et ne fassent ainsi échouer son contrat. Les deux hommes situés dans son dos ne l’écoutent pas et comparent leurs scores sur leurs consoles de jeux DS. Et M.A.L continue de hurler :

- Tout cet argent qui n’attend que moi ! Je gagnerai ! Sur tous les tableaux !

En effet, il fabrique un produit avec une matière première gratuite : les ordures. Ce gaz pour la transformation du plastique est une idée géniale de ses inventeurs : efficace et pas chère. Pas la peine donc de dépenser plus et d’utiliser le méthanol habituel.

- Mais « la vieille » est encore sur mon dos !

Ses deux hommes sentent augmenter sa colère et avant qu’il ne se retourne ils cachent vivement leurs DS dans leur dos. Leur veste ouverte laisse apparaitre un pistolet glissé dans un holster. Ils se conduisent comme des enfants mais ce ne sont pas des tendres. M.A.L. ne se retourne pas et continue son monologue. La douceur du chocolat qui fond dans sa bouche adoucit quelque peu son humeur. Maintenant il jubile.

- Et pour le cas où la « vieille emmerdeuse » aurait raison, pourquoi ne pas faire des réserves d’eau ? Encore un très bon moyen de faire de l’argent ! 

Les deux hommes font mine de s’intéresser à son discours tout en tripotant leurs DS dans leur dos, impatients de retourner à leur bataille virtuelle. Ne le voyant toujours pas se retourner, ils reprennent la partie tout excités, en se donnant des coups de coudes. Quand tout à coup c’est bien à eux que s’adresse maintenant leur boss qui se retourne d’un bloc et les surprend avec leurs DS.

- Bandes d’incapables ! Jetez-moi ça tout de suite !

A contre cœur chacun des hommes visent la poubelle mais l’une des deux DS atterrit à côté, sur le sol. L’homme de main se baisse pour la ramasser et M.A.L en profite pour lui marcher sur la main. Le visage de l’homme se déforme sous la douleur mais il retient son cri.

- Même pas capable de viser correctement ! Au prix que je vous paye vous pourriez au moins prendre des cours de tir ! dit-il avant d’enlever son pied.

L’autre homme de main ne moufte pas et se tient bien droit les mains dans le dos comme pour montrer qu’il est aux ordres. Son collègue le rejoint et adopte la même position mais lui c’est pour se masser la main qui bleuit déjà d’avoir été si violemment écrasée. M.A.L. s’assoit à son bureau, attire la poubelle vers lui du bout du pied et crache dedans avec dégoût le reste de chocolat qu’il mâchait si goulûment quelques instants plus tôt. Le chocolat dégoulinant de salive s’écoule alors sur les DS qui continuent de clignoter tandis que M.A.L. donne ses ordres.

- Les micros sont-ils bien orientés ? Où en sont les hommes de la planque ?  « La vieille » a-t-elle trouvé des preuves qui relient notre « gaz maison » aux problèmes des agriculteurs dans la région de l’usine ?

Les hommes de mains n’ont pas le temps de répondre à ce mitraillage de questions, M.A.L. leur ordonne déjà de faire suivre toutes les personnes entrant et sortant de chez Agathe. Il veut savoir.

- Qui lui apporte de l’aide ? !!!

Il les renvoie d’un geste de la main sans plus les regarder. Ils sortent à reculons avec regret en gardant un œil fixé sur la poubelle.

20 septembre 2010

CHAPITRE 2 - QUAND LA GRAND-TANTE AGATHE ATTEND LUCILLE-

 

Tandis que Jeanne et Lucille, encore secouées par quelques soubresauts de l’antique véhicule, se dirigent vers l’aérodrome, à Paris, Agathe est assise dans son salon.

Agathe, la grand-tante de Lucille, la sœur de Marie, est une femme distinguée qui semble sans âge. Fine, mince, digne, elle est aussi dynamique et intemporelle. Elle se méfie de tout et de tout le monde. C’est une déformation professionnelle : elle est retraitée d’une brillante carrière d’espionne. Depuis maintenant 20 ans elle vit recluse en ermite dans un immense appartement parisien qui occupe le dernier étage d’un immeuble dont elle est l’unique propriétaire. Jeune veuve, elle est handicapée des jambes depuis l’accident de voiture qui a aussi couté la vie à son mari. Inventeur de génie et chef d’entreprise avertie, Agathe a su faire de bons placements lors de l’explosion de l’informatique dans les années 70. Aujourd’hui elle est riche, mise à l’abri du besoin jusqu’à la fin de ses jours.

Avec le temps, en plus d’être de nature paranoïaque, elle est devenue obsédée par tout ce qui touche à la pollution. Tout ce qui agresse l’air, la faune ou la flore de notre planète la concernent directement. Son domicile, le mieux équipé en matière de son et vidéosurveillance, est ainsi devenu l’un des endroits les plus écologiques de la capitale. Elle a un œil sur tous les pics de pollution du pays et du reste du monde et sur tous ceux qui pénètrent dans son immeuble. Toutes les agences de presse mondiales sont reliées à son ordinateur central qui lui-même est en connexion avec certains satellites d’informations. Tous les étages de l’immeuble sont équipées de caméras se surveillance. Les services secrets du pays sont au courant, mais cette dame un peu excentrique fait partie de « la maison ». La police est au courant mais ne s’en plaint pas puisque cet immeuble n’a pas à redouter les cambriolages. Dans le monde de l’espionnage ou chez elle, Agathe garde un œil sur tout !

John, un des responsables des services secrets anglais connu uniquement sous ce nom, est un vieil ami avec qui elle entretient une communication régulière, personnelle et amicale. Mais uniquement par écran interposé. Il ne se déplace plus jamais de Londres et elle ne sort jamais de son appartement. Toute personne désirant y accéder doit y être conviée pour une raison précise. La majorité des visiteurs est là pour accomplir une tâche ou un service. Coiffeur, esthéticienne, médecins et spécialistes, kinésithérapeute et masseur, entraîneur sportif, fleuriste, décorateur, libraire, cuisinier, femme de ménage et tous les trois ans, l’entrepreneur, doivent avoir pris rendez-vous pour pénétrer dans son antre fermé d’une porte blindée. Seul Jules, homme de terrain envoyé par « John », possède l’autre carte magnétique qui en commande l’ouverture. A son service depuis 20 ans, Agathe l’a en très haute estime et le considère comme un membre de sa famille, puisqu’elle n’était plus en contact, ni avec sa sœur, ni avec sa petite-nièce.

Sa sœur Marie qui la tient pour responsable de la mort de sa fille, Laura, maman de Lucille, a coupé les ponts depuis 10 ans. De ce jour Agathe n’a eu de cesse de prouver que M.A.L. en est le véritable responsable. Tellement convaincue de son bon droit, Agathe ne réalise pas que Marie a surtout le désir de protéger la petite dernière de cette tradition familiale qui veut que toutes les femmes de la famille soient des espionnes handicapées ou… mortes !

Le salon d’Agathe est peu conventionnel c’est le moins que l’on puisse dire. Il est équipé sur tout un mur d’une multitude d’écrans. Ecrans de surveillance en noir et blanc, écrans de télévision qui encadrent, eux-mêmes un écran géant. Autant de lucarnes qui lui permettent d’avoir un œil sur tout et sur tout le monde. Différents ordinateurs et télescripteurs complètent ses possibilités de se tenir informée. Son bureau d’une longueur de trois mètres est une véritable table de contrôle qui ferait pâlir de jalousie n’importe quel directeur d’agence de communication. Sur un des écrans, le journal télévisé diffuse un reportage. La voix du journaliste se veut alarmante :

« Garanti trois siècles, le Centre de Stockage de La Manche fuit déjà. Les déchets nucléaires tels que le plutonium perdent la moitié de leur radioactivité au bout de 24000 ans ! 300 ans pour les déchets radioactifs dits de « vie courte» !

Retraiter n'est pas recycler ! Quelles sont les pistes de recherche actuelles ?

La séparation des radioéléments, la transmutation et enfin l'incinération dans des réacteurs spéciaux à construire.

Ces solutions, si elles aboutissent un jour, ne seront pas disponibles avant des dizaines d'années. Sans parler des sommes astronomiques qu'elles engagent.

En attendant ces hypothétiques solutions, la loi Bataille prévoit d'entreposer provisoirement ou de stocker définitivement les déchets en fonction de leur dangerosité : soit en surface, soit en grande profondeur, entre 600 et 800 mètres, soit, idée plus récente, en « sub-surface » à 15 ou 20 mètres de profondeur. »

Agathe soupire et baisse le son. D’abord assise devant un mini laboratoire qui contient éprouvettes et flacons de produits dangereux ainsi que tout un équipement très pointu, elle glisse ensuite sur le prolongement du bureau jusqu’à ses claviers d’ordinateurs, face à ses écrans. Du bout du doigt sur l’accoudoir de son fauteuil, elle prend une ligne téléphonique dont la tonalité se répercute sur les enceintes du salon.

On décroche à la 2ème sonnerie. John, son ami anglais, apparait sur l’écran principal et central du mur d’images. Leurs salutations amicales et polies sont vite suivies d’une conversation houleuse. Agathe cherche toujours des preuves contre cet homme, Marc-Auguste Lamproie ! Non ! Elle ne sera jamais à la retraite ! Sa croisade est affaire de justice et n’est pas personnelle ! Même si elle remonte au père Lamproie déjà dans les pesticides après la guerre. Depuis la fin de la guerre froide, John et elle travaillent à protéger les êtres humains des effets néfastes de la mondialisation telle que la pollution. Marc-Auguste Lamproie  dit « M.A.L. » est néfaste ! Dans trois jours, il doit signer un très gros contrat européen de recyclage de plastique. Agathe doit l’en empêcher ! Elle manipule son clavier et sur un autre écran près de l’image de John apparait une suite de reportages et de photos de la police criminelle qu’elle commente pour lui.

- Et l’incendie de l’usine de pesticides l’été passé ? Un accident ? Je n’y crois pas ! Tout comme l’accident de voiture de Laura tandis qu’elle rapportait des preuves contre lui. Grâce à son décès M.A.L. a fait fortune avec le stockage de déchets nucléaires avec ses futs dans La Manche qui devaient durer trois siècles et qui fuient déjà.

            - Mais puisque maintenant il fait dans l’écologie ! S’exclame John. Il argumente et tente une fois de plus de calmer la colère de sa vieille amie Agathe.

- M.A.L. dans le recyclage plastique ! Agathe rit jaune.

Elle n’y croit pas. Elle n’a aucune confiance en cet homme. Un « bip-bip » se fait entendre. Agathe décroche un téléphone manuellement. C’est Jeanne. Lucille est dans son avion Cessna, ils ne vont pas tarder. John attend avec impatience sur l’écran principal qu’Agathe lui dise ce qu’il en est. Quand elle raccroche, John demande des nouvelles de sa sœur Marie et s’interroge sur le fait qu’elle ne se rende pas à son chevet. Mais Agathe lui rappelle que Marie ne veut plus la voir. Elle lui a envoyé les meilleurs médecins de sa connaissance. Et puis Lucille a besoin d’elle. Quelqu’un doit s’en occuper. Agathe est toute excitée à l’idée de recevoir « la petite » et c’est encore l’occasion d’un désaccord entre eux. John s’inquiète.

- Et s’il lui arrivait quelque chose…

Cette famille est en danger constant depuis des années à cause de « leurs activités » d’espionnage. Toutes les femmes de la famille ont eu à payer un lourd tribut et ce depuis Mata Hari ! C’est une triste tradition familiale !

- Justement !

Agathe considère qu’elle n’a pas d’autre choix que de former Lucille afin de prendre la relève pour protéger la planète. John lui rappelle sa jeunesse et pourquoi sa sœur Marie ne veut plus la voir. Elle désapprouve l’influence qu’Agathe a sur ses proches. Comme celle qu’elle a eue précédemment sur Laura, la mère de Lucille, morte de manière suspecte dans cet accident de voiture. Agathe ne peut pas protéger tout le monde.

- Il y a déjà eu trop de dommages collatéraux ! tonne John.

Agathe ouvre ses tiroirs pleins de gadgets et montre ensuite d’un large signe du bras ses claviers et ses écrans. Aujourd’hui elle a tout ce qu’il lui faut pour les protéger ! Sur l’écran John s’énerve.

- Lucille a déjà largement payée sa part. Il tape du poing sur son bureau avant de raccrocher.

L’écran passe au noir avant de recommencer à diffuser des journaux télévisés.

13 septembre 2010

CHAPITRE 1 -QUAND LA GRAND-MERE DE LUCILLE TOMBE MALADE-

Derrière elle, le craquement d’une branche lui fait accélérer sa course. Elle évite avec agilité les branches trop basses et enjambe les arbres abattus par la grosse tempête de l’hiver dernier. Mais la vieille besace qu’elle porte en bandoulière s’accroche malgré tout aux ronces des sous-bois et ralentit sa course. Devant elle apparait le ruisseau. Il est beaucoup moins vif en été et les pierres affleurent à sa surface. Elle décide de traverser le cours d’eau. Difficile de ne pas se mouiller les pieds, les pierres sont trop glissantes ! Chacun de ses pas les plongent dans l’eau froide. Arrivée de l’autre coté, ses baskets font un bruit de succion. Mais pas le temps de s’en inquiéter, de nouveau le bruit d’une branche cassée la fait sursauter. Malgré tous les efforts qu’elle déploie, elle ne parvient pas à s’éloigner de son poursuivant. Tout à coup elle aperçoit cet arbre aux branches en fourche qu’elle connait depuis son enfance. En quelques bonds elle grimpe jusqu’à son sommet situé à trois mètres du sol.

Entre ciel et terre, Lucille attend son poursuivant. De sa besace elle sort une paire de lunettes 3D en carton rouge et vert. Sa vision s’en trouve changée. Elle se positionne sur sa branche comme un chat à l’affut. Elle se sent animal. Elle scrute au travers du feuillage et attend son poursuivant.

Et il ne tarde pas. Lancé à toute allure, un grand chien déboule et dépasse l’arbre où se trouve perchée sa proie. Il revient bientôt sur ses pas en reniflant la mousse et les feuilles mortes qui tapissent le sol de cette partie humide de la forêt. Avant que la bête ait eu le temps de se rendre compte de quoi que ce soit, Lucille lui bondit dessus. Elle tente de le capturer. Mais il se débat comme un diable. Il s’en suit une bataille acharnée pour prendre le dessus. Mais ni l’animal ni l’enfant n'y parviennent. Jusqu’à ce que le pied de Lucille dérape sur l’amas de feuilles et de mousse accumulé pas leur bagarre. Lucille glisse et retombe sur les fesses. Le chien en profite pour la bloquer au sol par les épaules de ses deux pattes avant. Et, il lui lèche le visage de son museau baveux. Elle capitule.

- C'est bon ! Tu as gagné ! Je vais te la servir ta pâtée !

Son tee-shirt s’est déchiré dans la bagarre et laisse entrevoir une tache de naissance en forme de papillon sur l’épaule droite. Le chien se met à gratter le papillon de ses pattes et Lucille hurle sur lui comme une petite fille hystérique.

- Arrête ! Ce n’est pas un vrai ! Mais qu’il est bête ! Arrête !

Cette fois le tee-shirt est définitivement foutu. Zut ! Sa grand-mère va encore la réprimander. Mais pas d'autre choix, il est l'heure de rentrer. Le tonnerre gronde au loin, l’orage ne va pas tarder. Et maintenant Lucille a vraiment très faim aussi. Elle remballe dans sa besace ses lunettes arrachées pendant la bataille et repart en courant, le chien sur ses talons. Le soleil est moins haut, l'heure du déjeuner est sans doute passée. Une raison de plus pour sa grand-mère Marie de lui faire des reproches. Et ça y est, il pleut.

- Zut ! Zut et re-zut ! Lucille file à toute allure, le chien court maintenant devant elle.

Il ne pleut plus sur la ferme que l’on aperçoit au loin. Le chien mouillé devance sa maîtresse qui arrive en courant, complètement trempée. Il parvient aux portes de la ferme avant elle. Il revient sur ses pas et aboie avec frénésie. Quand Lucille arrive aussi, différents véhicules sont garés de travers dans la cour. En apercevant le gyrophare des pompiers, Lucille s’arrête net, prise d’une grande angoisse. En plus du 4x4 vert militaire de sa grand-mère, elle aperçoit aussi la 4L jaune de Jeanne, la fermière voisine. Dans le camion rouge, les pompiers font glisser un brancard. Les portes arrière se referment et les pompiers remontent dans leur véhicule.

Le camion rouge démarre et arrive à la hauteur de Lucille et de son chien tandis que la vieille Jeanne reste sur le pas de la porte de la maison qui semble désertée de toute vie. Lucille fait signe au camion qui continue sa route sans s’arrêter. De rage elle frappe sur le coté du plat de la main, mais le véhicule s’en va. De loin, Jeanne  crie son nom pour la réprimander : LUCILLLLLLLLE ! Le chien se lance derrière le camion rouge qui s'éloigne et c’est Lucille qui maintenant rappelle l'animal avant qu’il ne rejoigne la route et ne se mette en danger.

A ses pieds, Jeanne a posé une petite valise en carton. Quand Lucille arrive jusqu’à elle, la fermière lui dit que Marie a fait un petit infarctus. Les pompiers étaient rassurants. Jeanne lui explique, qu’en arrivant comme d’habitude pour faire un peu de nettoyage, elle a trouvé sa grand-mère Marie sur le sol de sa cuisine.

Tandis que Lucille pleure de rage et d’incompréhension, Jeanne lui explique la situation. « C’est son cœur ! Marie a besoin de repos et sera hospitalisée un bon bout de temps ! ». Bien que minée elle aussi, Jeanne reste égale à elle-même, pragmatique. Elle prévient Lucille que Marie n’a pas d’autre choix que de l’envoyer vivre en ville chez sa grand-tante Agathe. Elles doivent partir au plus vite vers l’aérodrome où viendra la prendre le pilote et chauffeur d’Agathe, un dénommé Jules.

- Ce n’est pas juste !

Lucille veut suivre sa grand-mère à l’hôpital. Mais elle est « trop jeune » pour rester seule ! Lucille déteste être prise pour « un bébé », elle est hors d’elle. Et en plus elle ne connait pas Agathe. C’est vrai, Marie ne parle plus à Agathe depuis longtemps et Lucille ne sait même pas pourquoi. Elle ne veut pas y aller, alors Jeanne la motive sur l’idée d’aller étudier en classe avec d’autres enfants : Finis, la campagne et les cours à domicile ! Elle pourra se faire des amis. Mais attention ! C’est la ville ! Lucille ne doit faire confiance à personne. Marie y tient beaucoup. Dans trois jours, Lucille rentre au collège. Que Lucille se concentre uniquement sur ses études ! Et rien d’autre ! Marie a bien insisté sur ce point.

- Maintenant il faut y aller ! Mais pas le chien !

C’est Jeanne qui le gardera. Lucille rouspète. Le ciel tonne de nouveau. Elle veut rester à la campagne où elle peut garder son chien et courir à travers champs avec lui. Mais Jeanne lui montre la petite valise qu’elle prend avant de se diriger vers le 4x4 vert militaire de Marie qui date de la seconde guerre mondiale. « Le reste de tes affaires suivra plus tard ».

Quand Jeanne ouvre la portière, coté conducteur, il n’y a pas de volant ! La conduite est à l’anglaise. Jeanne râle contre les vieux cadeaux des amis anglais de Marie. L’orage tonne plus fort. Elle dépose la petite valise sur la place qui s’avère être celle du passager et fait le tour du véhicule. Jeanne y grimpe difficilement, s’assoit derrière le volant et tente en vain de le démarrer. Lucille, qui jusqu’alors, n’a pas bougé d’un poil, en profite et en quelques secondes traverse la cour jusqu’à la grange. Elle se pince le doigt en faisant glisser le pêne de ferraille qui barre la double porte. Tout en suçant son pouce pour calmer la douleur, Lucille entre dans la grange. Elle ouvre une vieille armoire brinquebalante, y prend une vieille chemise de bucheron parmi des vêtements de fermier et se change. Elle pleure en y déposant le tee-shirt déchiré. Marie n’a même pas eu le temps de la gronder.

Au sol, une bibliothèque, faite de caisses de vin en bois empilées les unes sur les autres dans un équilibre précaire, est pleine de livres. C’est la collection complète de Fantômette de la Bibliothèque Rose. Elle appartenait à sa mère, Laura. Elle prend le temps d’en choisir soigneusement quatre, qu’elle fourre dans sa besace où se trouve déjà sa paire de lunettes 3D. À coté de sa bibliothèque « fait maison », se trouve une valise de voyage noircie et abîmée. Elle l’ouvre et y récupère un pull en angora blanc roulé en boule et un portable d’un modèle ancien. Elle les glisse aussi avec beaucoup de précautions dans sa vieille besace. Elle sort de la poche de son short sa console de jeu DS recouverte d’autocollants de Spiderman et de Batman qui vient rejoindre son bric-à-brac. De son autre poche, elle extrait un petit sac de tissu fermé par un ruban de satin usé contenant des cailloux dans lequel elle ajoute de la terre du sol de la grange. « En souvenir ».

Dehors elle entend Jeanne qui insiste toujours sur le démarreur. À force de ténacité Jeanne arrive à démarrer le véhicule, elle appelle Lucille en chantant son nom comme pour appâter un chat. Lucille ressort de la grange en claquant la porte avec violence. Dans son dos un panneau de bois se décroche du mur du fond et laisse apparaitre sur sa face cachée, un arbre généalogique gravé à même le bois, camouflé depuis de longues années par Marie qui ne souhaitait pas que sa petite-fille à l’imagination débordante s’y intéresse de trop près. Seuls des noms de femmes y sont inscrits. Tout en bas LUCILLE apparait comme la descendante de MATA HARI, inscrite tout en haut, son arrière-arrière-grand-mère. LAURA, AGATHE et MARIE sont inscrites entre les deux.

Mata Hari, de son vrai nom Margaretha Geertruida Zelle, d’origine Hollandaise, avait eu deux enfants aux Indes Orientales Néerlandaises, qu’on appelle aujourd’hui l’Indonésie. Seule sa petite fille Janet a survécu aux fièvres tropicales de ce lointain pays et a ensuite rejoint sa mère en Europe où elles seront de nouveau séparées. Mata Hari qui est devenue danseuse de charme aux relations internationales et espionne par la même occasion. Elle l’a fait adopter par une famille de paysans français, où elle est certaine, en ces temps difficiles de la première guerre mondiale, qu’elle ne mourra pas de faim. Janet ne reverra plus jamais sa mère. Elle grandit en collectionnant les coupures de presses sur sa mère et devient elle-même la maman de deux filles : Marie et Agathe, qu’elle élève seule après la mort de son mari sur la ligne Maginot. C’est le début de la seconde guerre mondiale. Janet en digne héritière de Mata Hari devient une résistante acharnée et cache des enfants juifs et des pilotes anglais dans sa ferme.

A l’extérieur dans la cour de ferme, Lucille se rue vers le 4x4 pour échapper à la pluie qui recommence à tomber et y grimpe à toute vitesse en se cognant contre la valise en carton. Et zut ! Valise de malheur ! Sous le regard interrogateur du chien assis à l’arrière, Jeanne rencontre un autre problème. Là, ce sont les vitesses qui lui résistent. Et de la main gauche ce n’est vraiment pas facile. La voiture avance par à-coups et le chien aboie gaiement tandis que Lucille est méchamment moqueuse. Jeanne exaspérée veut laisser tomber quand finalement la boite vitesse se dégrippe enfin.

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Lucille la luciolle
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